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clôture une large brèche, à travers laquelle on apercevait comme dans un cadre la chapelle assise au pied des rochers, et, tout alentour, un terrain crayeux parsemé de croix noires. Cette petite église solitaire, ce cimetière de village avait ses croix debout dans le sol crevassé, ces sombres rochers couleur de plomb sillonnés de longue raies rouges formaient un si mélancolique tableau, que le marquis lui-même en fut frappé. Dès qu’il eut jeté les yeux de ce côté, il détourna la vue en s’écriant : — Si j’étais le seigneur de Champguérin, il y a long-temps que j’aurais fait démolir cette vieille chapelle de Notre-Dame-des-Templiers, et défendu à mes paysans de planter en face des croisées de mon château ces allées de croix blanches et noires. — Puis aussitôt, comme pour se rasséréner l’imagination, il ajouta en regardant les portraits de famille : Voilà des visages qui ne me sont pas inconnus ; j’ai dansé plus d’une sarabande avec cette charmante personne qui porte des rubans de velours nacarat entremêlés dans sa frisure. C’était une de vos proches parentes, Champguérin ? Une sœur de ma bisaïeule, répondit-il en souriant ; vous lui faites -beaucoup d’honneur, monsieur le marquis, en vous souvenant que vous avez dansé jadis avec elle.

— Il y a nombre d’années déjà. poursuivit-il satisfait : mais bien des gens se souviennent de plus loin. N’est-ce pas, mon vieux La Graponnière ?

— C’est un fait certain, monsieur le marquis, répondit sans sourciller l’écuyer de main.

— Monsieur, continua le marquis, avez-vous connu ma tante de Farnoux ?

— Celle qui est morte sans alliance, âgée de près de cent ans ? ajouta Mlle de Saint-Elphège.

— Je ne pense pas avoir eu cet honneur.

— Tant pis ! C’était une personne d’un mérite extraordinaire et fort passionnée pour votre famille. Elle a été en commerce de bon voisinage et d’amitié avec toutes les dames de Champguérin, lesquelles demeuraient ici tandis que leurs maris suivaient la cour.

C’était, certes, une grande consolation pour les pauvres abandonnées murmura ironiquement Mlle de Saint-Elphège.

— Pour en revenir à cette belle personne que je retrouve là en peinture, continua le marquis, je vous avouerai, Champguérin, que j’en ai été fort épris, et que je faillis demander sa main. Ce fut ma tante Farnoux qui m’en détourna.

— Sans doute par un effet de l’amitié particulière qu’elle portait aux Champguérin ! dit à demi-voix Mlle de Saint-Elphège.

— Au lieu de me marier, j’entrai dans les pages, reprit le marquis, et ce ne fut qu’âpres nombre d’années que j’épousai une