Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un moment après, le marquis entra, marchant sans s’appuyer sur son écuyer de main et dans un costume qui surprit tout le monde. Il avait mis un des habits. De cour renfermés depuis vingt ans dans ses coffres et pris une perruque dont la frisure retombait majestueusement jusqu’à la hauteur du coude. Son pourpoint de damas orange brodé noir et argent, laissait entrevoir une chemise garnie de dentelle et ses chausses, pareilles, étaient attachées avec des aiguillettes dont les ferrets étaient en pierreries. D’une main il tenait sa longue canne et de l’autre un chapeau à plumes dont le ruban de forme était semé de petits diamans.

— Qu’est-ce que ceci signifie et que va-t-il donc se passer céans ? murmura Mlle de Saint-Elphège avec une vague inquiétude.

— Est-ce qu’il est question ici de quelque cérémonie ? demanda Mme de Barjavel.

— Quel magnifique habit ! dit le petit baron à l’oreille de Clémentine je t’assure qu’avec ce pourpoint jaune foncé, chamarré de noir, mon oncle ressemble tout-à-fait à ce beau papillon qu’on appelle le grand-flambé. Le marquis salua gravement ses nièces et regarda du côté de la fenêtre, comme pour s’assurer de la sérénité du temps ; puis il dit à haute voix

— Mon vieux La Graponnière il faut que ma chaise à porteurs soit prête quand je sortirai de table ; au lieu de faire ma promenade ordinaire, je veux aller rendre sa visite à M. de Champguérin.

À cette déclaration inouie, il y eut un moment de silence et de stupéfaction ; ce fut une impression analogue à celle qu’aurait pu produire la vue de la grosse tour du château voltigeant dans l’espace et allant se poser au sommet de la montagne voisine. Mlle de Saint-Elphège revint la première de son étonnement, et murmura avec ironie : Voilà, certes un beau dessein et une grande idée !

— Je veux rendre sa visite à M. de Champguérin, répéta le marqua il faut donner sur-le-champ tes ordres, mon vieux La Graponnière, Ces dames m’accompagneront en litière, et le baron suivra à cheval.

— Monsieur, je vous supplie de considérer que vous l’êtes point habitué à faire de si longues promenades, dit Mlle de Saint-Elphège d’un air de respectueuse insistance. Il y a deux lielles d’ici Champguérin, et la route est mauvaise ajouta La Graponniëre. Et cette grande fatigue pourrait nuire à la santé de M. le marquis observa timidement l’abbé Gilette.

Pour toute réponse, le vieux seigneur mit son chapeau sur sa tête et dit d’un ton de maître : Je partirai au sortir de table. Que tout le monde se tienne prêt.