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de l’univers. C’est du Christ que tout émane ; c’est vers lui que tout retourne. Il est la cause, le modèle et la fin de tous les êtres ; tout en lui s’unifie, et il unifie tout avec Dieu.

Servet développe cette idée avec un véritable enthousiasme ; c’est le pivot de toute sa doctrine. Par elle, il prétend rendre le christianisme à sa pureté primitive, en expliquer tous les dogmes, les mettre en harmonie avec un panthéisme épuré, avec les traditions de tous les peuples, les symboles de tous les cultes, les formules de tous les systèmes, les maximes de tous les sages. Quelque jugement qu’on porte au fond sur son entreprise, ni la sincérité de sa foi, ni la noblesse de son enthousiasme, ni une certaine profondeur et une certaine originalité dans ses idées, ne sauraient être contestées sans injustice.

Reste à savoir comment ce Christ idéal pourra devenir réel, se faire chair, sans perdre son caractère divin, son éternité, son universalité, son immobilité. Servet rencontre ici d’inextricables difficultés, et, loin de les dénouer, il semble se plaire à les compliquer par des conceptions d’une bizarrerie surprenante. Jusqu’à ce moment, nous l’avons vu se tenir sur les hauteurs de la métaphysique. Son christianisme n’est encore qu’une philosophie ; il faut qu’il devienne une histoire, un récit positif et précis, où il ne s’agit plus d’une idée, mais d’un homme, d’un individu réel et vivant.

Servet, en effet, n’est point un pur rationaliste comme Spinoza, ou un idéaliste à la manière de Hegel. Il prend l’Évangile à la lettre ; il confesse explicitement la naissance miraculeuse du Christ, conçu dans le sein d’une Vierge par une opération surnaturelle de l’esprit divin. L’église a jeté sur cette génération le voile épais du mystère, et c’est de sa part un trait de sagesse. Servet prétend expliquer l’enfantement de Jésus, et, qui plus est, y trouver la clé de toutes les générations naturelles[1]. Il nous dit que le corps de Jésus-Christ est formé de quatre élémens : la vierge Marie n’a fourni que l’élément terrestre ; les trois autres sont venus du ciel[2]. Le Christ, avant que de naître, avait déjà un corps, mais un corps en quelque sorte spirituel, invisible, infini, partout présent[3]. Il a revêtu cet autre corps pesant et visible pour nous apprendre à le quitter, pour nous délivrer de ces liens où nous enchaînent la nature et le péché, et nous conduire à sa suite dans la région supérieure, libres et transfigurés[4]. Ici, Servet n’est plus un philosophe ni un théologien ; il nous apparaît comme

  1. « Christi generatio aliarum generationum omnium specimen et prototypes. » (Christ. Rest., lib. IV, p. 123, de Mead.) - « Etiam thesauri scientiae naturalis sunt in Christo absconditi. » (Christ. Rest., p. 251.)
  2. Christ. Rest., lib. IV. — Ibid., De Trin. Dial., II.
  3. Christ. Rest., p. 279.
  4. Christ. Rest., lib. V. — Ibid., De Trin. Dial., II.