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l’Aragon au sujet de la fixation des limites. De son côté, don Fadrique affectait un entier dévouement à son frère, et ne perdait aucune occasion d’en faire montre. Le château de Jumilla, sur le territoire contesté entre les royaumes de Murcie et de Valence, avait été occupé par un riche-homme aragonais qui s’en prétendait propriétaire, tandis que les plénipotentiaires castillans réclamaient cette forteresse comme comprise dans les domaines de leur maître[1]. Sans attendre l’issue des négociations fort actives à ce sujet, don Fadrique s’empara de Jumilla par un coup de main et y fit arborer la bannière de Castille. Don Pèdre ne se trompa point sur le motif qui avait poussé le maître de Saint-Jacques à cet acte d’hostilité, et n’hésita pas à l’attribuer aux intrigues du comte de Trastamare intéressé à rompre la trêve. D’ailleurs, don Fadrique était entouré d’espions, et, tandis qu’il paraissait tout sacrifier pour plaire au roi, on découvrit qu’il correspondait secrètement avec don Henri et le roi d’Aragon. Gonzalo Alexia, commandeur de Saint-Jacques, était leur intermédiaire, et, vers la fin de l’année 1357, il était parti de Cariñena chargé d’un message mystérieux pour le Maître[2]. C’était à la suite d’une conférence avec le commandeur que don Fadrique avait pris Jumilla. Don Pèdre, toujours vivement irrité contre le roi d’Aragon, accusant d’ailleurs la partialité du légat, était bien résolu à rompre la trêve et à reprendre les armes ; mais, avant de s’engager dans une guerre étrangère, il voulut autour de lui déraciner la guerre civile.

Dans ce dessein, il s’ouvrit à l’infant d’Aragon don Juan, prince faible et méchant, pour lequel il avait autant de mépris que d’aversion ; mais il le regardait comme un instrument maniable, et c’était à ses yeux le dernier raffinement de la politique que d’armer ses ennemis les uns contre les autres. Le 29 mai 1358, le roi, instruit de l’arrivée du maître de Saint-Jacques qu’il venait de mander à Séville, fit venir de grand matin dans son palais l’infant don Juan et Diego Perez Sarmiento, adelantade de Castille. Là, dans son cabinet, leur ayant présenté un crucifix et les Évangiles, il leur fit préter d’abord le serment de garder un secret inviolable sur ce qu’il allait leur découvrir. Puis, s’adressant à l’infant, il lui tint ce discours : « Cousin, vous savez et je sais aussi que le maître de Saint-Jacques, don Fadrique mon frère, vous veut du mal et vous le lui rendez. J’ai des preuves qu’il me trahit, et aujourd’hui je

  1. Carbosell, p. 186. — Arch. gen. de Ar. Voir plusieurs lettres de Pierre IV au sujet de ses droits sur cette place, notamment sa consultation au docteur En Ramon Castellan, reg. 1394, p. 89, 31 et suiv.
  2. V. passeport accordé à Gonzalo Mexia par le roi d’Aragon pour aller, de la part du comte de Trastamare, conférer avec le maître de Saint-Jacques de certaines affaires, valable pour une ou plusieurs fois, ieado o viniendo par unas ò muitas vegadas del dito Conde al dito Maestre, et del dito Maestre al dito Conde. Cariñena, 28 décembre 1357. Arch. gen. de Aragon, reg. 1543, p. 5 verso. V. Appendice.