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révolution, nouvelle était là. A quelle condition, en effet, pouvait-elle user du droit d’innover ? A une seule : c’était de déclarer que le christianisme primitif avait été corrompu, qu’il y avait contradiction, ne fût-ce que sur un point, entre le christianisme de l’église romaine et le christianisme vrai, par conséquent que le christianisme vrai était à retrouver. Voilà l’idée-mère de la réforme, et il était impossible de s’y tenir. Si en effet l’église a laissé corrompre le dogme de la rédemption, qui m’assure qu’elle a conservé dans leur pureté le dogme de l’incarnation, le dogme de la création, le dogme de la Trinité ? Si le christianisme est à refaire sur un point, pourquoi ne pas le refaire sur tous ? pourquoi ne pas le reconstruire depuis les fondemens jusqu’au sommet ? Évidemment cette pensée ne pouvait pas ne pas germer au sein de la réforme, et cela en dépit des réformateurs eux-mêmes, par la vertu de cette logique souveraine qui tire d’un principe ses conséquences et suscite à chaque idée les interprètes qui lui conviennent. Michel Servet fut l’esprit hardi en qui la pensée fondamentale de la réforme fit éclore cette conception nouvelle. Le premier, il proclama avec éclat, avec bonne foi, avec opiniâtreté, que le christianisme tout entier était à restituer ; le premier, il entreprit en grand cette restitution. La refonte du christianisme, non sur un point particulier comme la grace et le libre arbitre, mais sur l’ensemble des mystères, et particulièrement sur la Trinité, clé de voûte de tous les mystères, tel est le but où il aspire ouvertement. Par cette entreprise audacieuse, Servet se sépare du protestantisme et se rapproche du socinianisme ; il fraie la route de l’un à l’autre, et sa place dans l’histoire est marquée entre Luther et Socin.

Voici par où il se distingue à la fois de tous les deux. Luther et la réforme n’ont touché au dogme que sur un point, la justification ; ils ont modifié la morale du christianisme sans porter la main sur sa métaphysique. Les Socin et leurs disciples ont touché à tous les dogmes, mais plutôt pour les supprimer que pour les comprendre, pour dégager le christianisme de toute métaphysique plutôt que pour interpréter la métaphysique du christianisme. Servet, au contraire, est avant tout un théologien philosophe. Il a un système de métaphysique, et, du haut de ce système, il prétend non pas modifier, non pas supprimer, mais expliquer, réorganiser, retrouver tous les dogmes et tous les mystères.

Au surplus, le système philosophique de Michel Servet ne lui appartient pas en propre ; il est le reflet des idées alors dominantes. Or, quel est le caractère de ces idées ? Disons-le d’un seul mot : la philosophie du XVIe siècle, c’est le panthéisme.

En fait de hautes spéculations intellectuelles, on sait que le XVIe siècle n’a rien créé d’original. Sa philosophie, toute d’emprunt, est essentiellement