Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incomplets que le ministre De la Roche[1] et le professeur Mosheim[2] avaient donnés, au XVIIIe siècle, des pièces de la procédure. M. Mignet, dans son lumineux et savant mémoire sur l’Établissement de la Réforme à Genève, n’a pas eu d’autre base, et il a fallu la rare justesse d’esprit et toute la pénétration de l’éminent historien pour suppléer au défaut de documens précis et présenter sous son vrai jour l’ensemble, sinon les détails, de cette mémorable affaire.

Depuis 1839, la lacune dont nous parlons a été remplie. M. Trechsel, M. de Valayre, M. Rilliet de Candolle, ont apporté chacun leur tribut, et nous devons signaler le mémoire de ce dernier écrivain comme un modèle d’érudition discrète et ingénieuse ; mais c’est plutôt un plaidoyer habile et modéré en faveur de Calvin qu’un morceau véritablement historique.

Quelle que soit la richesse des documens publiés par ces trois écrivains, nous nous sommes fait un devoir de n’en croire que nos propres yeux et de puiser directement aux sources. Nous nous sommes rendu à Genève, où, grace à l’influence très peu calviniste qui en ce moment y domine, nous avons obtenu la communication la plus bienveillante et la plus complète de tous les documens. Le manuscrit de deux cents pages in-folio qui porte pour titre : Procès de Michel Servetus, 1553, les registres du petit conseil, tout nous a été ouvert, tout a été mis à notre disposition. Transcrites par la main habile et exercée d’un jeune paléographe genevois, M. Grivel, ces pièces précieuses sont en ce moment sous nos yeux, et nous avons pu y joindre plusieurs pièces inédites que le savant directeur de la bibliothèque de Genève, M. le pasteur et professeur Chastel, a bien voulu nous confier.

Ainsi entouré de toutes les précautions et de tous les secours nécessaires, nous avons cru pouvoir nous proposer un double objet : d’abord, et avant tout, la résurrection de la doctrine philosophique et religieuse de Michel Servet ; puis, comme conséquence, le récit vrai de sa lutte avec Calvin et de la tragédie où elle se termina. Mais, avant de nous engager dans la première de ces deux entreprises, il est indispensable d’esquisser au moins en quelques lignes la vie, le caractère et les ouvrages de notre malheureux héros.


I. — VIE DE MICHEL SERVET JUSQU’A L’EPOQUE DE SON PROCES. – CARACTERE DE SES ECRITS.

Michel Servet, ou plus exactement Micaël Serveto, naquit, l’an 1509, à Villanueva, petite ville d’Aragon, de parens honorables, chrétiens d’ancienne

  1. Bibliothèque anglaise, Amsterdam, tome II, part. I, p. 96-198.
  2. Essai d’une histoire complète et impartiale des hérétiques, Helmstœd,1748, in-4o.