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en même temps en Andalousie. Nous avons laissé cette province agitée par l’insurrection de Juan de La Cerda. Le roi avait bien jugé la situation du pays en l’abandonnant à ses propres forces contre la levée de boucliers tentée par ce chef audacieux. Après quelques ravages exercés dans les environs de Gibraleon, sa place d’armes, La Cerda livra bataille aux milices de Séville, soutenues par les hommes d’armes de Perez Ponce, seigneur de Machena, du Génois Gil de Boccanegra, amiral de Castille, et de quelques riches-hommes andalous. Les rebelles furent taillés en pièces, leur chef fut conduit prisonnier à Séville et enfermé dans la tour del Oro. En annonçant cette victoire à don Pèdre, on lui mandait de faire connaître ses intentions à l’égard du captif. La réponse ne se fit pas attendre. Un arbalétrier de la garde partit sur-le-champ de Tarazona pour Séville avec ordre de se faire livrer Juan de La Cerda et de le mettre à mort. Presque en même temps, la femme de ce seigneur, doña Maria Coronel, jeune dame aussi célèbre par sa vertu que par sa rare beauté, accourait de Séville au camp du roi ; et se jetait à ses pieds demandant la grace du coupable. Touché de ses larmes, don Pèdre lui accorda des lettres de pardon, incertain toutefois si elles pourraient lui servir. En effet, quelque diligence que fît l’infortunée, elle n’arriva à Séville que huit jours après l’exécution de son mari[1]. On accusa le roi de n’avoir accordé la grâce du rebelle que parce qu’il savait qu’elle ne pouvait être connue à Séville assez à temps pour prévenir sa mort. A mon sentiment, cette supposition est injuste. La condamnation de Juan de La Cerda était rigoureuse peut-être, mais assurément légale. Pris les armes à la main et rebelle pour la seconde fois, pouvait-il espérer son pardon d’un prince qui l’avait comblé de ses bienfaits ? Il n’avait pas même, pour excuser sa révolte, le prétexte de la jalousie qui avait déterminé la défection de don Alvar de Guzman, son beau-frère. L’arrêt de mort expédié, le roi vit à ses genoux la malheureuse doña Maria, et n’eut pas le courage de résister à ses supplications. Dès-lors, les deux ordres contradictoires étant donnés presque en même temps, le sort du prisonnier ne dépendait plus que d’une espèce de hasard, et le roi ne pouvait retirer le peu d’heures d’avance qu’avait son arbalétrier sur doña Maria Coronel. Au moins quelques jours d’espoir furent accordés à la suppliante, et il est souverainement injuste de changer en un raffinement de cruauté ce qui ne fut sans doute qu’un mouvement généreux de compassion et de clémence. Veuve à vingt ans, doña Maria se retira dans le couvent de Sainte-Claire à Séville, où elle fit profession. Elle n’en sortit qu’en 1374 pour fonder le monastère de Sainte-Inès dans la même ville, et c’est là qu’elle mourut vénérée comme une sainte.

  1. Ayala, p. 230.