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si une guerre contraignait le gouvernement à demander au pays un surcroît de revenu de quelques centaines de millions, qui est-ce qui entreprendrait de l’obtenir, à moins de faire peser sur la nation une tyrannie à l’orientale ? Quand M. Cobden a dit qu’un état militaire excessif en temps de paix réduisait d’avance les nations à l’impossibilité de soutenir la guerre, il a donné un avertissement que, plus qu’aucun autre peuple du monde, nous devons prendre pour nous.

Je conclus : nos dépenses militaires sont contraires au maintien de nos bonnes relations avec nos voisins. Elles les ont inquiétés, elles déterminent la puissance dont l’alliance avec nous est la garantie, la seule garantie solide de la paix du monde, à armer de son côté, et, une fois les préparatifs achevés pour la guerre, il est à craindre que la guerre ne s’ensuive, car, lorsqu’on a les armes à la main et qu’on a été excité l’un contre l’autre, la tendance naturelle est de s’en servir. Elles entretiennent et développent, parmi les populations, des sentimens belliqueux qu’un gouvernement sage doit sans relâche s’efforcer d’apaiser. Elles donnent des inquiétudes légitimes aux amis des libertés publiques. Elles compromettent nos finances. Elles rendent impraticables chez nous toutes ces améliorations fiscales dont jouissent d’autres nations en Europe, comme la franchise des sels, l’abaissement des taxes postales, la diminution de différens droits de consommation qui sont à un taux abusif. Elles entravent ou ajournent indéfiniment des entreprises utiles, les unes de l’ordre matériel, celles qui tiennent aux voies de communication, par exemple ; les autres de l’ordre moral ou intellectuel, comme le perfectionnement et l’extension de l’éducation nationale, la suppression de l’esclavage dans nos colonies. On a pu croire qu’il fallait, pour la sécurité du pays, ajouter de grands ouvrages à ses fortifications tant à la frontière qu’autour de la capitale ; ces travaux sont terminés ou vont l’être. On s’est autorisé de la nécessité de détruire Abd-el-Kader ; c’est un fait accompli. L’accroissement de 200 millions à peu près qu’on éprouvé nos dépenses militaires depuis dix ans est désormais sans excuse. Toute administration intelligente et active apprendra, si ce n’est déjà connu, par l’étude de ce qui se passe chez les peuples les plus avancés, en Angleterre, aux États-Unis, en Prusse, comment on peut suffire, avec les budgets de la guerre et de la marine, tels qu’il étaient il y a dix ans, à tout ce que réclament la sûreté et la dignité du pays au dehors, à tout ce qu’exige l’ordre au dedans, et je ne sache pas qu’en 1837 et 1838, par exemple, la France fût moins qu’aujourd’hui rassurée sur sa dignité à l’extérieur, ou fût plus agitée à l’intérieur.

L’état des esprits en Italie donnera peut-être lieu aux partisans des grandes dépenses militaires de soulever contre tout projet de réduction l’objection d’inopportunité dont on a déjà tant abusé en d’autres