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n’y consacre que le sixième de la somme que notre paix armée nous a coûtée en 1846.

On dit que cet état militaire, si disproportionné aux ressources du pays, est indispensable au maintien de l’ordre public, à cause des passions qui fermentent. Ce n’est rien moins qu’une accusation intentée à nos institutions libérales, et, si on veut les mettre en cause, qu’on le fasse ouvertement. Dire que la présence d’une armée de 275,000 à 300,000 hommes à l’intérieur, sans compter les troupes de l’Algérie, est la condition de l’ordre, c’est prétendre que la France n’a ni les lumières, ni les mœurs que supposent ses institutions, que la liberté est un sens qui manque à notre nation ; car, ainsi qu’on l’a justement écrit, l’ordre n’est autre chose que la liberté collective de la société. Le signe qu’un peuple a le gouvernement qu’il lui faut consiste dans un accord parfait entre les institutions politiques et le degré d’avancement des esprits ou les penchans du caractère national. Quand cet accord existe, l’édifice politique se tient debout sur ses bases, de lui-même, sans qu’on ait à l’étayer d’une grande force militaire. Le meilleur indice, le seul infaillible, que le tempérament d’une nation comporte la liberté dont l’investissent ses lois, c’est que la présence d’une force armée nombreuse n’y soit pas requise. En Angleterre et aux États-Unis, la force armée est superflue à l’intérieur ; ces peuples n’ont donc rien de plus que la liberté qui leur convient. De même notre immense attirail d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, s’il était reconnu que l’ordre intérieur interdît d’en rien rabattre, attesterait que notre constitution politique nous accorde infiniment plus de liberté que nous n’en pouvons porter ; mais, si on ne soutient pas cette assertion, qu’on n’agisse pas non plus comme si c’était elle qui dût servir de base à la politique intérieure.

On se préoccupe d’une éventualité qu’amènera quelque jour le cours de la nature, et sur laquelle, en effet, il est utile que les hommes publics tiennent leur pensée fixée. On est fondé à espérer que c’est éloigné de nous encore. Toutes les apparences l’indiquent aux bons citoyens qui voudraient éterniser ce règne. Cependant, la Providence jugeât-elle à propos de consommer demain cette douloureuse séparation entre la France et l’auguste fondateur de la nouvelle dynastie, lorsqu’on a des cadres aussi parfaits, ce n’est pas l’affaire de beaucoup de temps que d’ajouter quarante ou cinquante mille hommes à la force publique, et nous ne serions pas pris au dépourvu.

La soumission d’Abd-el-Kader, en changeant complètement la face des choses en Algérie, nous dispense au moins d’entretenir en Afrique l’armée que nous y avons depuis six ou sept ans, et qui égale par le nombre, à peu de chose près, toute l’armée de terre de la Grande-Bretagne. Il ne fallait pas moins pour en finir avec ce chef intrépide