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traditions dont un Français puisse prendre ombrage. Les deux peuples se sont fait la guerre si long-temps et avec une telle rage, que leur politique doit en garder quelque empreinte. On n’efface pas en quelques années la trace de plusieurs siècles. On ne retourne pas avec quelques instructions ministérielles les habitudes que des agens déjà anciens ont contractées au sein des affaires, et qu’avant d’être au service ils avaient sucées avec le lait. L’air qu’on respire dans les bureaux de Downing-street est encore imprégné de la rivalité qui pendant si long-temps y inspira tous les actes. C’est comme ces odeurs qu’exhalent, quelques précautions qu’on prenne, les planchers et les murs des appartemens dans quelques vieux édifices. Pendant les deux ou trois années qui précédèrent le traité du 15 juillet 1840, nous en eûmes plus d’une preuve. Les agens anglais, sur plusieurs points, prenaient le contre-pied des représentans de la France. Il est vrai qu’alors c’était lord Palmerston qui était le ministre des affaires étrangères ; mais ce n’est pas à lui seul qu’il faut l’imputer : il est d’usage que le cabinet anglais laisse au dehors plus de latitude aux penchans personnels de ses agens que ne le fait la France, tout comme dans le sein même du cabinet le ministre des affaires étrangères est moins contrôlé en Angleterre qu’en France ; plusieurs envoyés anglais suivaient ainsi d’instinct les erremens auxquels ils s’étaient accoutumés. Sous sir Robert Peel et lord Aberdeen eux-mêmes, la politique française ne rencontrait pas partout cette harmonie dont se fût accommodé l’intérêt de la Grande-Bretagne. Cependant, sur toutes les questions qui chez nous pouvaient causer de l’irritation, le cabinet anglais, dans les actes personnels de ses chefs, et dans ses délibérations le parlement, par leur influence, montrèrent des dispositions extrêmement conciliantes. L’esprit dont avait été animée la nation tout entière pendant la session de 1841 persévérait dans les conseils de la couronne et au dehors.

Sur la question du droit de visite, le cabinet français demandait qu’on lacérât non-seulement le récent traité de 1841, mais encore les traités antérieurs. Sir Robert Peel et lord Aberdeen y consentirent. Une négociation s’entama afin de remplacer par quelque chose de neuf le mode qui avait été adopté pour la répression de l’infâme trafic des noirs. C’est ainsi qu’on est arrivé plus tard au traité de 1845. Le système de ce traité est, au fond, moins efficace que le droit de visite ; il n’est pas entièrement exempt des mêmes inconvéniens, M. Mathieu de la Redorte l’a montré dans ce recueil ; enfin il entraîne un surcroît de charges pour les contribuables. Quant à la dignité nationale, il ne me paraît pas, je l’ai dit, qu’elle eût à souffrir d’un droit qui était réciproque. Mais, en Angleterre, le parti qui est opposé à la traite et veut la réprimer par tous les moyens possibles attachait le plus grand prix à la visite. C’est un parti puissant. Le ministère anglais, qui tenait