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peuvent être dans la paix ni qu’il fût facile de s’y maintenir en temps de guerre. Ces différentes acquisitions semblaient justifier aux yeux du public l’hostilité contre l’Angleterre, et ainsi les haines nationales se trouvaient de fait recevoir appui d’un gouvernement qui, certes, ne les partageait pas.

Vis-à-vis de l’Angleterre, l’attitude du gouvernement français démentait, il est vrai, toute interprétation de ce genre. On ne témoignait pas seulement au cabinet de Londres cette amitié que motive la similitude des institutions ; on montrait le désir que ce fût de l’intimité, quoique entre grands gouvernemens qui, l’un et l’autre, ont besoin de leur indépendance, ces tendres amours soient fort précaires et sujettes à d’aigres retours. Les souverains se visitaient et ces démonstrations inconnues dans l’histoire étaient remplies d’effusion. Le mot de l’entente cordiale était inventé pour le plus solennel des documens parlementaires ; mais les actes dont le mobile était un sentiment hostile à l’Angleterre et dont le gouvernement, en sa qualité de pouvoir exécutif, était l’éditeur responsable, n’en subsistaient pas moins, et on pouvait prévoir qu’à la première occasion ils seraient pris, de l’autre côté du détroit ; pour ce qu’ils étaient, malgré l’attachement sincère du gouvernement français à la cause de la paix.

Voilà donc le spectacle qu’offrait la France : la force qui dominait et qui déterminait le mouvement était le vieux sentiment d’inimitié contre la Grande-Bretagne qui s’était réveillé et qui poussait à la guerre. Le public en masse ne réprouvait pas ces antiques ressentimens et battait des mains au théâtre quand il se présentait quelque allusion. C’étaient des transports lorsqu’un acteur chantait, par exemple, Jamais en France l’Anglais ne régnera ! Dans l’arène politique, l’opposition fomentait la passion contre l’Angleterre et entretenait l’humeur guerrière du public. Une partie des troupes ministérielles, manquant à la discipline, se laissait aller à des témérités patriotiques qu’on n’eût pas attendues d’hommes pour la plupart aussi prudens ; elle éprouvait un caprice pour la popularité et déclamait, elle aussi, contre la perfide Albion. Le cabinet enfin n’exerçait pas envers les siens ce commandement dont les chefs doivent s’investir dans les momens périlleux et que justifiaient les talens des principaux ministres. En présence de ces amis insubordonnés, il semblait ne plus se souvenir qu’il comptait parmi ses membres le premier orateur de l’Europe. On eût dit qu’il ne s’apercevait pas que le parti conservateur, au milieu de l’orage qui grondait, ne pouvait se passer de l’appui de cette admirable éloquence, et qu’ainsi il appartenait au gouvernement de tracer au parti tout entier une ligne de conduite, au lieu de recevoir la loi de quelques-uns. Non-seulement il n’adressait pas d’une voix ferme à ces conservateurs débandés l’avertissement qui les eût probablement ramenés au drapeau, mais il faisait