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VII.

Du Guesclin, précédant ses soldats, rejoignit don Henri devant Tolède. La ville était toujours étroitement bloquée, et la disette commençait à s’y faire sentir. Le gouverneur, don Garci de Villodre, avait été obligé de tuer tous les chevaux pour faire subsister sa garnison. Chaque jour il écrivait à don Pèdre pour lui représenter l’horreur de sa situation et le conjurer de ne pas abandonner une population fidèle qui, par dévouement à son roi, souffrait depuis plus de dix mois les plus dures extrémités. Que s’il tardait à lui envoyer des secours, et même à marcher en personne pour faire lever le siège, la famine allait triompher de l’héroïque constance des Tolédans. Don Pèdre avait passé la plus grande partie de l’hiver à Carmona, travaillant sans relâche à ajouter de nouveaux ouvrages à ses fortifications. Il y avait entassé d’immenses approvisionnemens, et, après avoir épuisé ses arsenaux, il avait fait porter dans cette forteresse jusqu’aux rames des galères de Séville pour en faire des bois de flèches[1]. On prétend qu’un astrologue lui avant prédit qu’il serait un jour assiégé, il s’étudiait à rendre un château imprenable. Plein de méfiance dans les dispositions du peuple de Séville, il avait fait choix de Carmona, d’abord en raison de son assiette, puis parce que sa population médiocre ne pouvait entraver la résistance d’une garnison dévouée. Peut-être son projet était-il d’attendre don Henri derrière ces remparts inexpugnables ; mais les instances des Tolédans le contraignirent à changer de résolution. L’honneur et la politique lui défendaient d’abandonner des sujets qui se sacrifiaient pour lui, et qui, après avoir repoussé les assauts d’une puissante armée, allaient succomber à la famine. Vers la fin de l’hiver, don Pèdre rassembla toutes ses troupes disponibles ; il y joignit un corps auxiliaire de cavaliers grenadins, et après avoir donné l’ordre à tous les partisans qui lui restaient, dans le nord, de venir le joindre au débouché de la Sierra-Morena, il se mit en marche, résolu d’offrir la bataille à don Henri sous les murs de Tolède. En quittant l’Andalousie, il laissa dans Carmona les enfans qu’il avait de différentes maîtresses[2], son trésor et une garnison considérable. Carmona était son dernier refuge si la fortune lui était contraire.

Le roi, partant de Séville, traversa la Sierra-Morena par un de ses cols les moins élevés, probablement en suivant la route qui passe par Constantina pour aller aboutir à Llerena[3]. Sa marche était lente, car

  1. Ayala, Cron. de don Henrique II, p. 15.
  2. On a vu que les trois filles qu’il avait eues de Marie de Padilla demeuraient à Bayonne en otages auprès du prince de Galles.
  3. Je n’ai pu trouver de renseignemens précis sur le point où don Pèdre passa la Sierra-Morena. Son arrivée à Calatrava, pour rallier des troupes venant de la Galice, me donne lieu de supposer qu’en partant de Séville il marcha droit vers le nord ; c’était dans cette direction qu’il devait rencontrer Fernand de Castro, venant de Zamora.