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dans tous les chrétiens, portaient le fer et le feu jusqu’aux portes de Séville. En quelques semaines, tous les châteaux conquis par le roi dans la dernière guerre retombèrent au pouvoir des Maures, quelques-uns cédés à Mohamed, comme le prix de son alliance, d’autres emportés de vive force, comme coupables ou suspects de défection au prétendant. Beaucoup de villages et quelques villes considérables furent impitoyablement saccagés, et un grand nombre d’hommes et de femmes emmenés en esclavage à Grenade. On porte à onze mille le nombre de personnes de tout âge et de tout sexe enlevées par les musulmans du seul territoire d’Utrera, à quelques lieues de Séville[1]. Loin de s’opposer à ces dévastations, don Pèdre semblait les encourager en concentrant la plus grande partie de ses troupes à Séville et à Carmona. Les paysans, exaspérés, publiaient que le roi avait abjuré sa religion pour prendre celle de son allié, le Maure de Grenade.


V.

Le spectacle de l’Andalousie en feu, les supplications des malheureuses villes victimes de cette guerre barbare, ne pouvaient arracher don Henri au siège de Tolède. Cependant la force ouverte et la corruption échouaient tour à tour devant la fermeté de la garnison et la vigilance du gouverneur. Quelques bourgeois gagnés, étant parvenus à s’emparer d’une des tours de l’enceinte, nommée la tour des Abbés[2], y arborèrent l’étendard du prétendant au cri de Castille au roi Henri ! Mais dans l’intérieur de la ville personne ne répondit à cet appel. Une quarantaine de soldats de l’armée assiégeante escaladèrent la tour et y plantèrent cinq bannières. S’ils eussent été vigoureusement soutenus, Tolède succombait peut-être ce jour-là ; mais aussitôt les habitans, accourant avec des fascines et des sarmens, entassèrent ces matières inflammables à la porte de la tour des Abbés, et y mirent le feu. Non-seulement ce mur de flammes empêcha les assaillans de déboucher dans la ville, mais bientôt, enveloppés de fumée et menacés d’être brûlés vifs, ils s’estimèrent heureux de pouvoir s’échapper au moyen des échelles dont ils s’étaient servis pour gagner la plate-forme de la

  1. Ayala, p. 519.
  2. On nomme ainsi à Tolède une tour hexagone qui fait partie de l’enceinte arabe de la ville, et qui touche à la porte del Cambron. Suivant une tradition, cette tour aurait servi autrefois de prison à l’officialité de Tolède. Selon quelques antiquaires, elle devrait son nom à la résistance énergique d’un petit nombre de prêtres tolédans, qui la défendirent contre les Maures, dans le mémorable siége que soutint Tolède contre le roi de Maroc Ali-Aben Jusef, au XIe siècle. La porte del Cambron est plus moderne que la tour des Abbés. On dit qu’autrefois l’entrée protégée par cette tour s’appelait la porte de l’Almaguera.