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la tête. Don Pèdre, sans argent, sans armée, n’ayant ni la volonté ni le pouvoir d’acheter les services des Anglais, cherchait en vain autour de lui une obéissance empressée ou une rébellion ouverte. Suivi de quelques hommes d’armes, il allait de ville en ville presser l’exécution de ses ordres, et ne donnait que le spectacle de sa faiblesse aux peuples qu’il voulait intimider.

Dans cette triste situation, cependant, l’inflexibilité de son caractère ne se démentit pas. Le malheur ne lui avait rien appris ni rien fait oublier. Il s’aperçut qu’on commençait à ne plus le craindre, il n’essaya pas de se faire aimer. Prêtre, noble ou bourgeois, quiconque s’était fait remarquer par son empressement à servir l’usurpateur trouvait en lui un juge aussi inexorable qu’au temps de sa prospérité. Avant de quitter Burgos, il ordonna l’exécution d’un des principaux chevaliers et d’un des plus riches bourgeois de cette ville, comme s’il en eût voulu décimer toutes les classes[1]. A Tolède, il se fit donner des otages comme dans une place conquise, et les traîna en Andalousie à sa suite. A Cordoue, il arrêta lui-même seize gentilshommes des premières familles, qu’il livra bientôt après aux bourreaux, comme convaincus d’avoir appelé don Henri dans leurs murs. D’autres exécutions non moins sanglantes signalèrent son entrée à Séville. Quelques-unes du moins pouvaient paraître justes : telles que la mort du Génois Boccanegra et de Martin Yañez, dont la trahison avait eu des suites si funestes pour don Pèdre[2]. Mais, après le châtiment de ces grands coupables, les échafauds se dressèrent indistinctement pour les magistrats et les officiers subalternes qui avaient accepté d’obscures fonctions sous l’usurpateur. Il semblait que la mauvaise fortune eût redoublé la cruauté du roi ; maintenant sa vengeance aveugle s’appesantissait jusque sur les parens des rebelles, et, chose horrible aux yeux des Castillans, elle n’épargnait pas même les femmes. L’exécution de doña Urraca de Osorio excita surtout l’indignation publique. Le seul crime de cette dame était que son fils, don Alphonse de Gusman, eût refusé de suivre le roi dans son exil ; mais, loin de porter les armes contre lui, il vivait retiré dans l’Andalousie au moment de la bataille de Najera. Depuis, redoutant le courroux du roi, il avait été chercher un refuge dans la ville d’Alburquerque. A la vérité, cette place, devenue le rendez-vous des mécontens du Midi, était alors comme un foyer d’insurrection. Don Pèdre, hors d’état de réduire ces rebelles, tourna sa fureur contre la mère de don Alphonse qu’il accusa de correspondre avec eux. Son supplice fut horrible. S’il faut en croire les chroniques locales, elle fut brûlée vive hors des remparts, au lieu où est aujourd’hui la promenade

  1. Ayala, p. 496.
  2. Ibid. p. 497.