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on le jette dans un cachot. Son frère, en essayant de se sauver, est tué par les satellites du roi. Olivier lui-même s’estima heureux de recouvrer sa liberté en faisant relâcher le fils de Charles. Tel fut le dénoûment de cette ignoble comédie[1].


III.

Le plus épouvantable désordre régnait en Castille. Après le premier moment de stupeur, chacun se mit à calculer les forces et ressources de don Pèdre. Il était hors d’état de payer les Anglais, ne les payant pas, il perdait l’appui que lui donnait la terreur de leurs armes. On pouvait déjà prévoir qu’aussitôt après l’éloignement de ces redoutables auxiliaires, il se trouverait dénué de tout en face d’un peuple mécontent et humilié, qui venait d’apprendre combien une révolution était facile. En attendant, les liens de l’obéissance étaient partout rompus. Il y a dans le caractère espagnol une force d’inertie qui combat encore lorsque toute résistance semble impossible, et qui sait réparer les plus désastreuses défaites. Gagner du temps est une maxime nationale[2]. et c’est surtout dans les grandes commotions politiques qu’elle trouve son application. En annonçant sa victoire à toutes les communes de son royaume, don Pèdre s’était hâté de réclamer pour lui-même le paiement des taxes votées dans les cortès de Burgos, et déjà soldées à don Henri. Il déclarait qu’elles avaient été indûment accordées à l’usurpateur, et cependant il était réduit à invoquer les décrets d’une assemblée qui avait prononcé sa déchéance[3]. Par cette étrange fiction, obligé de rendre hommage à l’autorité des cortès, la seule que la nation respectât encore, il semblait avouer publiquement son impuissance à commander par lui-même. La plupart des villes ne répondirent point à ses demandes par des refus directs, mais elles inventaient mille prétextes pour différer le paiement d’une taxe que sa destination rendait encore plus odieuse à l’orgueil national. Si le roi trouvait si peu d’obéissance parmi les communes, sur le dévouement desquelles il avait l’habitude de compter, on peut juger de la résistance de ses grands vassaux, de tout temps indociles à son autorité. Les riches-hommes échappés à la défaite de Najera, ou suspects par leur conduite pendant l’usurpation de don Henri, se fortifiaient dans leurs châteaux, résolus d’y attendre patiemment, soit l’occasion de traiter avec le roi légitime, si son gouvernement se consolidait, soit de reprendre les armes contre lui, si le parti vaincu relevait

  1. Ayala, p. 461.
  2. Dar tiempo al tiempo.
  3. Cascales, Hist. de Murcia. Lettre de don Pèdre au conseil de Murcie. Tolède, 930 mai 1405 (1367), p. 151.