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Saint-Jacques, furent cependant exceptés de l’amnistie, comme ayant été déclarés traîtres par sentence rendue dès avant la révolution. Livrés au roi, ils furent aussitôt décapités devant sa tente. Garci Jufre Tenorio, fils de l’amiral don Alonso Jufre[1], fut également égorgé quelques jours après et pour le même motif. Après ces exécutions, les deux princes se séparèrent mécontens l’un de l’autre. Don Pèdre avec don Sanche et le maître d’Alcantara, Martin Lopez, se dirigea sur Burgos, à la tête de l’avant-garde anglaise, tandis qu’Édouard le suivait lentement avec le reste de ses troupes[2].

Pendant que don Pèdre faisait trancher la tête à ses sujets rebelles, le prince de Galles donnait un exemple de modération qui contrastait fortement avec cette rigueur. Parmi ses prisonniers se trouvait le maréchal d’Audeneham, vieux guerrier de soixante ans, estimé jusqu’alors comme un brave et loyal chevalier. Pris à la bataille de Poitiers, combattant à côté du roi de France, il avait été mis à rançon, et, suivant l’usage du temps et la courtoisie ordinaire du prince, il avait été relâché avant d’avoir entièrement acquitté sa dette, mais sous le serment de ne pas porter les armes contre le roi d’Angleterre ou son fils, à moins que ce ne fût sous la bannière du roi de France ou d’un prince de sa famille. En le reconnaissant au milieu des Français, Édouard fronça le sourcil et l’appela parjure et traître. « Sire, dit le vieux maréchal, vous êtes fils de roi, et je ne puis vous répondre autre chose, sinon que je ne mérite point les noms que vous me donnez. — Eh bien ! dit le prince, vous soumettez-vous au jugement d’une cour de chevaliers ? » Le maréchal y consentit avec empressement. Aussitôt douze chevaliers furent nommés pour connaître de l’accusation, quatre Anglais, quatre Gascons et quatre Bretons Le prince, se portant accusateur, parla le premier. Il rappela le serment du maréchal, et conclut, en peu de mots, que n’y ayant dans l’armée ennemie aucun prince de la maison de France, l’accusé avait manqué à sa parole et forfait à l’honneur. Le maréchal plaida lui-même sa cause, et répondit qu’à la vérité il avait juré de ne point s’armer contre le roi d’Angleterre ni contre son fils, mais qu’il n’avait pas enfreint son serment, n’ayant pas tiré l’épée contre eux. « Ne vous en déplaise, monseigneur, dit-il, vous n’êtes point le chef de l’armée contre laquelle je me suis battu. Vous êtes venu sur cette plaine comme capitaine aux gages du roi don Pèdre, et c’est contre ce roi, chef de votre armée, que je me suis battu, moi, pauvre capitaine d’aventure à la solde du roi don Henri. » Cette argumentation, qui nous semble aujourd’hui plus subtile que juste,

  1. Alonso Jufre avait été mis à mort par ordre du roi en 1358.
  2. Ayala, p. 458. — Froissart, liv. I, ch. 242. Froissart rapporte que le roi marcha sur Burgos avec le maître de Calatrava ; mais Padilla n’avait pas assisté à la bataille. La confusion vient de ce que Martin Lopez fut nommé maître de Calatrava peu de temps après.