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de combat. Les Gascons à pied, au lieu de s’amuser à poursuivre les génétaires ennemis, se dirigent aussitôt contre la bataille de Du Guesclin et la prennent en flanc. Presque au même moment, le captal de Buch, qui venait de mettre en déroute l’autre aile de cavalerie, exécutait la même manœuvre contre le flanc droit de l’avant-garde castillanne. Débordés et enveloppés de toutes parts, les gendarmes français et espagnols se serrèrent courageusement autour de la bannière de l’Écharpe, et combattirent quelque temps avec la plus grande valeur contre un ennemi trois fois plus nombreux. Ce fut en vain que don Henri, à la tête de ses hommes d’armes à cheval, chargea lui-même à plusieurs reprises pour dégager ces braves gens. Il eut bientôt sur les bras la seconde ligne de l’armée anglaise, conduite par le prince de Galles en personne. L’infanterie castillanne, dont les frondes avaient d’abord jeté quelque désordre parmi les Anglais, se débanda lorsqu’elle eut essuyé les décharges meurtrières de leurs archers. Dès ce moment la bataille était perdue pour don Henri. Cependant il fit des efforts inouis pour rallier ses soldats et les ramener à la charge ; on l’entendait crier aux fuyards : « Beaux seigneurs ! que faites-vous ? Me trahirez-vous aujourd’hui, vous qui m’avez fait roi ? Tournez la tête, et la journée, avec l’aide de Dieu, nous restera[1] ! » Tant qu’il vit flotter la bannière de l’Écharpe, il la montrait à ses gens et les exhortait par son exemple et par ses cris à percer jusqu’à ses défenseurs ; mais enfin cette bannière tomba, et la déroute fut générale. Cavaliers, fantassins, tout se débande et se mêle en fuyant par la plaine. Les gendarmes anglais, remontés sur leurs chevaux, chassaient devant eux une masse confuse qui s’entassait aux abords du pont de Najera, seule retraite de cette grande armée. Une crue subite de la Najerilla vint augmenter le désastre. Hommes et chevaux se jetaient pêle-mêle dans la rivière, qui fut en un instant rouge de sang et encombrée de cadavres. Quelques chevaliers des ordres militaires essayèrent de défendre le pont et se barricadèrent dans une grande maison à l’entrée de la ville ; mais ils y furent bientôt forcés, et l’ennemi se répandit dans les rues. La nuit qui survint, la fatigue des vainqueurs las de tuer, le pillage qui les retenait dans la ville et dans le camp de don Henri, sauvèrent les débris de l’armée castillanne[2].

Telle fut la bataille de Najera, ou de Navarrete, encore plus décisive que sanglante. Les Castillans laissèrent sur la place cinq à six cents hommes d’armes et sept mille fantassins. Le corps de Du Guesclin perdit à lui seul quatre cents hommes d’armes, la moitié de son effectif. Là seulement le terrain fut vaillamment disputé. Le reste fut tué dans la déroute ou se noya en essayant de passer la Najerilla. Suivant Froissart,

  1. Froissart, liv. I, chap. 239.
  2. Ayala, p. 453, 458. — Froissart, lib. I, chap. 236, 240.