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hommes d’armes avaient mis pied à terre. L’avant-garde castillanne se hâta de les imiter, renvoya ses chevaux, s’avança en bon ordre et au petit pas ; puis on fit halte un moment comme pour recueillir toutes ses forces avant d’en venir aux mains. Le prince de Galles fit dévotement sa prière, et après avoir pris le ciel à témoin de la justice de sa cause, tendant la main à don Pèdre : « Sire roi, dit-il, dans une heure vous saurez si vous êtes roi de Castille. » Alors il s’écria : « Bannières en avant, au nom de Dieu et de saint George ! » Dans l’autre camp, don Henri, monté sur une mule roide et forte à l’usage du pays[1], parcourait les lignes de son armée exhortant ses gens à bien faire et promettant de leur donner l’exemple. Les trompettes sonnèrent la charge, et aussitôt les deux avant-gardes s’abordèrent avec la plus grande résolution, l’une au cri de : Castille au roi Henri ! l’autre au cri de Saint George et Guyenne ! Les Anglais portaient pour se reconnaître une croix rouge sur des soubrevestes blanches, et les Castillans une écharpe[2]. Les archers anglais, ordinairement placés en première ligne, n’engagèrent pas le combat cette fois, soit que l’ardeur des deux avant-gardes ne leur laissât pas le temps de faire usage, de leurs traits, soit que le prince de Galles eût craint d’exposer ses archers aux charges rapides des génétaires castillans.

Le choc de la bataille commandée par Du Guesclin fut si impétueux, qu’il fit plier un instant la ligne ennemie. Un chevalier castillan nommé Martin Fernandez, qui moult étoit entre les Espagnols renommé d’outrage et de hardiment, dit Froissart dans son vieux et énergique langage, reconnaît Chandos dans la presse et le provoque à un combat singulier. Ils s’attaquent avec fureur ; leurs armures impénétrables résistent à tous les coups qu’ils se portent. Confiant dans sa force gigantesque, le Castillan saisit son ennemi à bras-le-corps et le terrasse ; mais Chandos, d’un effort désespéré, l’entraîne dans sa chute. Quelque temps ils se débattent ensemble dans la poussière sans lâcher prise ; mais Martin Fernandez avait le dessus, il accablait Chandos de son poids et lui tenait le genou sur poitrine, lorsque l’Anglais, conservant son sang-froid dans cette lutte acharnée, tire son poignard et cherche avec la pointe le défaut de la cuirasse de son ennemi. Il trouve enfin un passage ; il frappe à coups redoublés. Déjà ce n’est plus qu’une masse inerte qui pèse sur lui ; il la repousse de côté, et, tout couvert de sang, se relève au moment où ses compagnons parvenaient à se faire jour jusqu’à lui[3]. Cependant les Anglais avaient reculé de quelques pas, et déjà les aventuriers criaient victoire, lorsque le comte d’Armagnac s’avança hardiment contre la cavalerie de don Tello, qui, soit trahison, soit terreur panique, n’attendit pas le choc et tourna le dos sans rendre

  1. Froissart, chap. 234.
  2. Ayala, p. 454.
  3. Froissart, liv. I, chap. 236.