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l’infanterie[1]. Froissart, d’après des relations anglaises, donne à don Henri vingt-sept mille chevaux et quarante mille hommes de pied[2]. Il ne fait pas connaître le nombre des troupes anglaises présentes à Navarrete ; mais, suivant son rapport, elles ne se composaient, à leur entrée en Espagne, que de vingt-sept mille chevaux, qui devaient être fort réduits, depuis deux mois, par les maladies et la misère[3]. L’exagération des premiers chiffres de Froissart paraît évidente, mais on peut soupçonner que le patriotisme d’Ayala lui a fait dissimuler la force de l’armée castillanne. En comparant les deux témoignages, on doit conjecturer que les Anglais avaient plus de gendarmes que les Castillans, et que, par contre, ces derniers étaient plus forts en infanterie.

Des deux côtés on s’était mis en campagne avant l’aube. Dans le désordre d’une marche nocturne, quelques génétaires et la bannière de la commune de Saint-Étienne-du-Port se détachèrent de l’armée de don Henri et s’allèrent rendre à don Pèdre, désertion peu importante quant au nombre des soldats, fort alarmante pourtant par la défiance qu’elle inspirait à tout le reste de l’armée. Chacun examinait son compagnon avec inquiétude et craignait quelque trahison.

Les Anglais avaient eu le temps de choisir leur position et d’étudier le terrain. Leurs batailles étaient déjà sous les armes, lorsque Chandos sortit des rangs et s’avança vers le prince de Galles tenant à la main une bannière roulée. « Monseigneur, dit-il, voici ma bannière ; je vous la donne. Qu’il vous plaise que je la puisse lever aujourd’hui. Dieu merci, j’ai terres et héritages pour tenir état, ainsi qu’il appartient à un chevalier banneret. » On appelait ainsi les seigneurs qui, pouvant mener en guerre un certain nombre de soldats, jouissaient du privilège d’arborer leur propre drapeau, distingué par sa forme carrée du pennon triangulaire des simples chevaliers. Chandos était entré en Espagne suivi de douze cents pennons[4]. Le prince remit l’étendard à don Pèdre, qui le déroula. Il était d’argent, au pal aiguisé de gueules, et taillé en pointe comme un pennon. De son poignard, le roi coupa cette pointe, et le rendit par la haste au nouveau banneret : « Levez votre bannière, messire Chandos, dit-il ; Dieu lui donne honneur et fortune ! » Aussitôt Chandos la porta à l’avant-garde, et fit jurer à ses compagnons de défendre cet insigne qui devait désormais les guider[5].

Au lever du soleil, don Henri découvrit l’armée anglaise déjà formée en ligne dans un ordre admirable. Les bannières et les pennons aux vives couleurs flottaient au-dessus d’une forêt de lances ; déjà tous les

  1. Ayala, p. 443.
  2. Froissart, liv. I, 2e partie, chap. 234.
  3. Idem, chap. 219-221.
  4. Froissart, liv. I, 2e partie, chap. 219.
  5. Idem, chap. 235. -Du Gange, verbo Bannereti.