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par terre était mort ou pris. Avant qu’il pût se relever, cloué sur l’arène par le poids de son armure, on l’assommait comme un animal à l’abattoir, à moins que la richesse de son accoutrement ou le blason de sa soubreveste n’avertit le vainqueur qu’il avait une rançon à gagner. Dans les marches, la plupart des soldats, même les archers allaient à cheval, mais au moment d’une bataille les hommes d’armes mettaient pied à terre, ôtaient leurs éperons et raccourcissaient leurs lances. Chaque seigneur élevait une bannière autour de laquelle se serraient ses vassaux. La victoire décidée, on remontait à cheval, le vaincu pour fuir plus vite, le vainqueur pour le poursuivre. Derrière le gros des hommes d’armes, ou, pour parler la langue militaire du moyen-âge, derrière les batailles, demeuraient les écuyers tenant les chevaux en bride qu’ils amenaient à leurs maîtres au moment critique ; ainsi Homère nous peint les héros grecs sentant à leurs épaules le souffle de leurs fidèles coursiers[1].

Gendarmes et archers, dans l’armée du prince de Galles, étaient des hommes d’élite qui tous avaient long-temps fait la guerre et assisté à de grandes batailles. Au contraire, les troupes de don Henri se composaient en majeure partie de recrues sans discipline ; l’infanterie surtout était aussi mal armée que dépourvue d’expérience. On n’y voyait qu’un petit nombre d’arbalétriers, et la plupart des fantassins, paysans enlevés à leurs charrues, n’avaient que des frondes et des zagaies. La cavalerie, mieux équipée, comptait cependant beaucoup plus de génétaires que de gendarmes. En résumé, l’armée castillanne, redoutable dans les escarmouches et excellente pour la guerre de montagnes, perdait tous ses avantages en se mettant en ligne contre les bandes aguerries amenées de la Guyenne. Aux yeux des capitaines français, c’était le comble de la témérité que de s’aventurer en plaine contre les Anglais. Mais il n’était plus temps de donner des conseils. Résolus à faire leur devoir en gens de cœur, ils ne pouvaient se défendre des plus sinistres pressentimens.


IV.

L’ordre de combat était arrêté d’avance pour les deux armées dès leur entrée en campagne. Chacune se formait en quatre corps ou batailles. Du côté de don Henri, l’avant-garde, composée des aventuriers français et bretons et de l’élite des gendarmes castillans, était sous le commandement immédiat de Du Guesclin. Don Sanche, frère du roi,

  1. (Iliade, XVIII, 501.)