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de l’y forcer[1]. De la sorte, il couvrait la capitale de la vieille Castille, but des efforts de l’ennemi ; il offrait même la bataille au prince de Galles, mais avec toutes les chances en sa faveur ; car son infanterie, leste et habituée à la guerre de montagnes, devait avoir un grand avantage sur des troupes pesamment armées et combattant sur un terrain tout nouveau pour elles.

Don Pèdre avait promis aux Anglais une victoire facile ; l’accueil qu’ils trouvèrent à Salvatierra leur fit illusion sur les dispositions du pays, et ils poussèrent en avant pleins de confiance. Il fallut qu’un échec grave vînt leur prouver qu’ils avaient trop méprisé leur ennemi. Pendant que leurs fourrageurs se répandaient dans la plaine de l’Alava, don Tello, avec un gros corps de cavalerie composé de gendarmes français et de génétaires castillans, fondit tout à coup sur eux, en prit ou tua un grand nombre, et vint jeter l’alarme jusqu’au quartier du duc de Lancastre, qui commandait l’avant-garde anglaise. Après avoir balayé la plaine, cette cavalerie, en se repliant vers les montagnes, rencontra inopinément, auprès d’Arinñz, à deux lieues de Vittoria, une troupe ennemie qui, sous les ordres de sir Thomas Felton, sénéchal de Guyenne, s’était fort éloignée du gros de son armée. Felton n’avait que deux cents hommes d’armes et autant d’archers ; sans perdre courage en se voyant enveloppé par plus de trois mille chevaux, il fit mettre pied à terre à ses gendarmes et les rangea sur un tertre escarpé. Le frère du sénéchal, William Felton, seul, ne voulut point quitter son cheval. La lance baissée, il se jeta au milieu des Castillans, et, du premier coup, perça d’outre en outre un homme d’armes dans son armure de fer. Il fut aussitôt mis en pièces. Ses camarades, serrés autour de leur bannière, combattirent long-temps avec le courage du désespoir, et plusieurs heures s’écoulèrent sans qu’ils fussent entamés. Enfin les aventuriers, guidés par le maréchal d’Audeneham et le Bègue de Vilaines, mirent pied à terre, et, se formant en colonne, rompirent la phalange anglaise, pendant que les génétaires castillans la chargeaient par derrière. Tout fut tué dans la première fureur de la victoire, mais la résistance héroïque de ce petit nombre de gendarmes anglais frappa d’admiration leurs ennemis eux-mêmes. Le souvenir de la glorieuse défaite de Felton s’est conservé dans la province, et l’on montre encore aujourd’hui près d’Ariñiz le tertre où il tomba criblé de coups, après avoir combattu tout un jour. On l’appelle, dans la langue du pays, Inglesmendi, la butte de l’Anglais[2].

Avertis de la présence de l’ennemi par la fuite précipitée de leurs fourrageurs, le prince de Galles et don Pèdre se hâtèrent de mettre toutes leurs troupes en bataille sur la hauteur de Saint-Roman, non

  1. Ayala, p. 445. — Froissart, liv. I, p. 2, chap. 229.
  2. Ayala, p. 4,47. -Froissart, liv. I, p. 2, chap. 226-28.