Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout à coup on apprit qu’une femme se montrait à Séville prenant le nom de doña Juana de Lara, dame de Biscaïe. Sur-le-champ elle fut mandée à Burgos ; et là don Tello, qui, mieux que personne, savait sans doute à quoi s’en tenir sur l’origine de cette princesse prétendue, la reconnut publiquement pour sa femme et ne négligea rien pour accréditer la fable qu’elle débitait sur le mystère de sa disparition et de sa délivrance. Quelque temps il vécut avec elle, la traitant comme sa femme, jusqu’à ce qu’enfin, la mort de la véritable doña Juana venant à être constatée d’une manière authentique, l’imposture commençât à devenir plus dangereuse pour lui que la vérité même[1].


XXI.

INTERVENTION DU PRINCE DE GALLES. — 1367.


I./

Au nord et au sud des Pyrénées se rassemblaient deux armées nombreuses, l’une et l’autre bordant les frontières de la Navarre. Pour passer de la Guyenne en Castille, il n’y avait alors qu’une seule route praticable aux chevaux : c’était celle qui, partant de Saint-Jean-Pied-de-Port, entre dans la fameuse vallée de Roncevaux, et qui, après avoir franchi les montagnes par un col élevé, suit le cours de l’Arga pour venir déboucher sur Pampelune. La vallée de Roncevaux aboutit à un défilé qu’une poignée d’hommes peut défendre, et tous les Espagnols savent qu’elle a été et peut devenir encore le tombeau d’une armée étrangère. Ce passage appartenait au roi de Navarre ; il dépendait de lui d’ouvrir ou de fermer les portes de la Castille aux Anglais. Il ne faut donc pas s’étonner que son alliance fût si avidement recherchée, si chèrement achetée par don Pèdre. De son côté, don Henri n’avait pas perdu l’espoir d’obtenir soit l’assistance, soit la neutralité du Navarrais. Outre une somme d’argent considérable, il lui offrait la province de Logroño et une partie de l’Alava et du Guipuzcoa, c’est-à-dire à peu près la même cession de territoire que son adversaire avait promise. On prétendait ainsi rendre à la Navarre des provinces qui en avaient été très anciennement détachées[2]. Pour Charles, l’embarras était grand entre ces offres. Il avait reçu 56,000 florins de don Pèdre, 60,000 doubles de don Henri[3]. Il fallait deviner de quel côté se trouvait la force, lequel des deux prétendans au trône de Castille était le plus solvable. A peine eut-il signé le traité de Libourne avec don Pèdre,

  1. Ayala, p. 427.
  2. Logroño avait été enlevé à la Navarre par Alphonse VI de Castille en 1076. — Yanguas, Antigüedades de Navarra, t. II, p. 203.
  3. Ayala, p. 435, Abrev.