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retour, les deux princes devaient unir toutes leurs forces aux siennes pour le ramener dans son royaume et chasser l’usurpateur[1].

Don Pèdre s’engagea encore, dans le cas d’une guerre contre les infidèles, à céder le poste d’honneur, ou, comme l’on disait alors, la première bataille, aux rois d’Angleterre ou à leurs fils aînés, s’ils prenaient part à cette croisade[2]. Cette déférence honorifique pour son allié n’indiquerait-elle pas que don Pèdre, toujours vaste dans ses projets, méditait dès-lors une expédition contre Grenade. Cette conjecture se justifierait jusqu’à un certain point par le caractère vindicatif du roi, qui ressentait toujours plus vivement les dernières offenses, et qui probablement ne pouvait pardonner à Mohamed la paix récente faite avec don Henri.

Dès que ces traités furent signés et jurés solennellement à Libourne, le prince Édouard déploya la plus grande activité pour hâter le moment d’entrer en campagne. Ses capitaines manquaient d’argent pour s’équiper, et don Pèdre avait vendu ou mis en gage ses dernières pierreries. Le prince fit porter sa propre vaisselle à la monnaie et en distribua le produit à ses officiers[3]. Maintenant qu’il avait prouvé son dévouement au roi de Castille par tant de sacrifices, il se crut en droit de lui donner des conseils et de lui parler avec franchise. Il lui représenta combien sa rigueur passée avait été impuissante à retenir ses sujets dans le devoir, et le conjura de suivre d’autres erremens lorsqu’il serait rétabli sur le trône. « Traitez doucement vos vassaux, disait-il ; tant que vous n’aurez pas conquis leur affection, votre couronne ne sera jamais assurée. » Don Pèdre, dans sa position, n’avait garde de rejeter ces sages conseils. Il parut persuadé et jura de pardonner à tous les rebelles, n’exceptant de l’amnistie qu’un petit nombre de riches-hommes déjà condamnés pour trahison avant l’accession de l’usurpateur[4]. Que cette promesse fût sincère ou bien arrachée par la nécessité, elle suffit à contenter le prince et à lever les scrupules éveillés dans son cœur généreux par les récits de ses capitaines revenus de Castille. Prévenus par don Henri, séduits peut-être par ses présens, témoins d’ailleurs de la haine du peuple contre le roi exilé, les chevaliers anglais qui avaient servi sous Du Guesclin rapportaient à Bordeaux une opinion peu favorable sur le caractère de don Pèdre.

  1. Ayala, p. 433. — Rymer, 23 septembre, 1366. — Carta donacionis regis Castelle principi Walliae. — Super expensis exsolvendis, etc., t. III, 2e partie, p. 115 et suiv.
  2. Rymer, De primo bello regibus, etc. Libourne, 23 septembre, t. III, 2e partie, p. 122.
  3. Froissart, livre I, 2e partie, chap. CCXI.
  4. Rymer, Traité de Libourne, t. III, p. 116. « Item todos los prisioneros… avran hy tal pecho como ellos han acostumbrado en las guerraz de Francia, salvando los traidores judgados por et rey don Pedro, don Tello y don Sancho sus hermanos, los cuales si presos fueran seran dados al rey don Pedro, pagando et tal suma como et Princep ordenarà,