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« Un moment après il partit. Ma belle tante le suivit des yeux jusqu’à l’endroit où tourne le chemin, ensuite elle s’en retourna lentement, moi, je restai à la même place tant que je pus entendre le galop de son cheval, et après je m’en allai aussi… Depuis ce jour, je tombai une mortelle tristesse. Ma tante Joséphine assurait que M. de Champguérin ne reviendrait jamais, et j’avais fini par le croire.

« Mais ma tante ne disait pas la vérité, aujourd’hui, aujourd’hui même, M. de Champguérin était de retour. Oh ! ma chère Cécile, je l’ai revu ; mais j’étais si interdite, si troublée en le regardant, en l’écoutant parler, que je n’ai pas osé lui demander s’il s’était souvenu de t’aller faire une visite à la grille. Peut-être ne m’enhardirai-je jamais jusqu’à lui adresser cette question Écris-moi, ma Cécile s’il s’est rappelé sa promesse ; dis-moi, dis-moi bien tout l’entretien que vous avez eu ensemble.

« En commençant cette lettre, je ne pensais pas la finir ainsi ; il ne me semblait pas qu’il y eût tant de secrets dans le fond de mon ame ; je les ai découvert à mesure que je t’écrivais. Oh ma plus chère amie, je viens de le confier des choses que je ne m’étais pas encore avouées à moi-même… »

Clémentine était si absorbée dans cette lecture, qu’elle n’avait pas aperçu le petit baron, qui se rapprochait d’elle avec précaution et en faisant un détour pour arriver derrière l’espèce de siège où elle était assise. Quand il se fut ainsi glissé auprès d’elle, il avança brusquement la main par-dessus son épaule et se saisit de la lettre en s’écriant : — Voyons un peu la fin de ces grandes confidences ! Je suis curieux de savoir ce que tu dis encore de moi à Mlle de Verveilles. — Antonin, je t’en prie, ne lis pas ! s’écria Mlle de l’Hubac en se levant tout éperdue.

— Ah ! ah ! je suis donc bien maltraite dans cette dernière page ! dit-il en riant.

Clémentine essaya de reprendre sa lettre mais l’espiègle tournait autour d’elle en élevant la feuille déployée au-dessus de sa tête et en répliquant d’un air narquois : — Laisse donc je veux montrer à M. l’abbé cette écriture moulée… Je veux lui lire les beaux propos que tu tiens sur mon compte et les belles épithètes dont tu m’honores : paresseux, curieux à l’excès… Voyons le reste.

Il se mit à courir à reculons en cherchant la dernière page :

— Arrête ! Antonin je t’en supplie, s’écria Clémentine avec un accent si profond de douleur et d’effroi que le petit baron s’arrêta court.

— Qu’est-ce ? qu’as-tu donc ? dit-il.

Elle reprit la lettre, qu’il lui abandonna sans résistance, et se rassit en sanglotant.

— Mon Dieu mon Dieu qu’est-ce donc ? s’écria Antonin tout ému : ma bonne Clémentine, je te demande bien pardon de t’avoir