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semaine à la Roche-Farnoux, et sa présence nous aidait fort à supporter les ennuis de la mauvaise saison. De cette manière, le temps s’écoula to)ut doucement, et le printemps revint, le beau printemps qui réjouit toute la création. Une après-midi, le ciel était si clair et le soleil si brillant, que ma tante de Barjavel fut tentée de descendre la Roche-Farnoux. Elle me permit de l’accompagner, et nous nous en allâmes assez loin par des chemins qui ne ressemblent guère, je t’assure, aux jolies allées de ce grand jardin où nous nous sommes si souvent promenées ensemble. Comme nous arrivions à un endroit qu’on appelle la Grotte-aux-Lavandières, ma belle tante se retourna en jetant un petit cri. — Écoutez, me dit-elle un peu émue, c’est étrange! on dirait le galop d’un cheval entre ces rochers. Au même instant, nous aperçûmes un cavalier qui courait à bride abattue sur ces pentes rapides. Il pouvait s’y tuer sous nos yeux. Mon sang se glaça dans mes veines, et ma belle tante devint toute pâle de frayeur. C’était M. de Champguérin qui descendait ainsi le chemin bordé de précipices. En nous voyant, il ralentit l’allure de son cheval et, au moment de nous joindre, il mit pied à terre. — Ah! monsieur, s’écria ma belle tante, que vous m’avez causé une mortelle frayeur! — Madame, répondit-il, j’espérais cette rencontre. Et j’eusse passé sans hésiter sur ces abimes. Puis il ajouta en soupirant: Je suis monté à la Roche-Farnoux pour prendre congé de M. le marquis. Une lettre arrivée ce matin me force à partir sur-le-champ. — Quoi! monsieur, demain? s’écria ma tante. — Ce soir même madame ; il a fallu m’y résoudre, répondit-il d’un air qui marquait bien l’affliction où le jetait ce brusque départ. J’en fus si touchée que les larmes me vinrent aux yeux. Après s’être un moment entretenu avec ma belle tante, il se tourna vers moi et me dit du même air attristé : –– Mademoiselle, je viens prendre aussi vos ordres pour Paris ; qu’avez-vous à me commander ? — J’étais toute tremblante et me sentais au cœur quelque chose qui m’étouffait ; pourtant j’eus encore assez de présence d’esprit pour lui faire ma révérence et lui répondre d’une voix intelligible : — Je vous suis obligée, monsieur. Si vous voulez me faire plaisir d’aller voir au couvent des dames du Saint-Sacrement Mlle Cécile de Verveilles et de la complimenter de ma part, j’en aurai une sensible reconnaissance. — Soyez persuadée, mademoiselle, que je m’acquitterai de vote commission avec tout le zèle imaginable, me répondit-il vivement ; soyez certaine que j’aurai l’honneur de voir Mlle de Verveilles. — Puis, s’adressant de nouveau à ma tante, il l’assura que les personnes qu’il laissait à la Roche-Farnoux seraient toujours présentes à son souvenir. En parlant ainsi, il avait cueilli au bord du chemin une petite branche d’hysope. — Je l’emporte, dit-il. Cette fleurette, éclose près de la Grotte-aux-Lavandières, est mille fois plus belle à mes yeux que toutes les roses des jardins de Versailles.