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Don Pèdre, s’étant embarqué à Séville, avait descendu le Guadalquivir jusqu’à San-Lucar de Barrameda pour assister à la pêche des thons dans la madrague. Au moment où il entrait dans le golfe, une escadre de dix galères catalanes y arrivait venant de Barcelone. Ces vaisseaux, commandés par un amiral célèbre, appelé Francès de Perellòs, étaient à la solde du roi de France, qui, avec le consentement du roi d’Aragon, les avait fait armer pour croiser contre les Anglais sur les côtes de l’Océan. Perellès, corsaire par goût et par habitude, bien que d’une famille considérable et attaché à la maison du roi d’Aragon[1], donnait la chasse à trois barques de Placencia[2] chargées d’huile, et les avait suivies jusqu’en rade de San-Lucar. Bien qu’elles portassent le pavillon castillan, qu’elles fussent dans un port ami et dans les eaux mêmes de la galère montée par le roi de Castille, les Catalans s’en emparèrent, prétendant qu’elles étaient chargées de marchandises génoises et comme telles de bonne prise, le roi d’Aragon étant en guerre avec la république de Gènes. Aussitôt don Pèdre envoya faire des représentations à l’amiral aragonais, l’avertissant qu’il violait les lois de la mer et qu’il manquait au respect dû à sa personne. Perellòs répondit insolemment qu’il ne devait compte de sa conduite qu’à son maître le roi d’Aragon. En ce moment don Pèdre, n’ayant pas un seul vaisseau de guerre sur la rade, se trouvait hors d’état de faire respecter son pavillon ; cependant il dépêcha de nouveau à Perellès pour lui signifier que, faute d’une satisfaction immédiate, il rendrait responsables de son attentat les négocians catalans établis à Séville et qu’il ferait séquestrer leurs biens. L’amiral, se sentant le plus fort, refusa de lâcher sa proie, il vendit ses prises ; bien plus, il osa remonter le Guadalquivir et commit quelques déprédations sur le rivage ; puis, virant de bord, il rentra dans l’Océan et poursuivit sa route vers les côtes de France[3].

Transporté de fureur, don Pèdre courut à Séville, et, sans vouloir écouter aucune représentation, il ordonna de mettre aux fers tous les sujets catalans, fit saisir leurs propriétés, vider leurs magasins, et vendre leurs marchandises. Le même jour, armant à la hâte sept galères, il s’embarqua avec toute la jeune noblesse de Séville[4], et se mit à la poursuite de Perellòs. Arrivé à Tavira, dans les eaux du Portugal, il apprit que les Catalans avaient trop d’avance pour qu’il pût

  1. Zurita, p. 269, verso.
  2. Placencia en Biscaïe, à quatre lieues de Bilbao. Le comte de la Roca suppose fort mal à propos, ce me semble, que ces barques venaient de Plaisance en Italie. Rey don Pedro def., p. 37, verso.
  3. Ayala, p. 215.
  4. Zuñiga, Anales ecclesiasticos de Sevilla, t. II, p. 141, remarque que don Pèdre fut le premier roi de Castille, qui s’embarqua pour une expédition maritime.