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fortune avec les biens de la maison de Farnoux. Savez-vous pourquoi M. de Champguérin n’a fait que reparaître dans le monde, pourquoi vous le voyez déjà de retour ? C’est parce qu’il a le désir, la volonté d’obtenir la main de ma nièce.

— C’est impossible, répondit sans s’émouvoir la baronne.

— Impossible! pourquoi? demanda aigrement la vieille fille.

— Parce que M. de Champguérin sait à n’en point douter que le marquis de Farnoux lui refuserait la main de Mlle de l’Hubac.

— Mais il se gardera de la lui demander, interrompit Mlle de Saint Elphège ; actuellement il tentera de se faire aimer de Clémentine et d’obtenir une promesse qu’elle tiendrait plus tard, n’en doutez pas ; mon oncle ne sera pas immortel…

— Ainsi vous croyez que le moment viendra ou vous partirez de la Roche-Farnoux? Interrompit à son tour Mme de Barjavel.

— Oui, je te crois encore, répondit la pauvre fille.

La baronne se tourna vers l’oratoire qui était dédié à saint Roch et, désignant la niche où l’on voyait la statuette du patron des pestiférés en habit de pèlerin, son bourdon à la main et son fidèle boule-dogue derrière lui, elle dit tranquillement

— Ma cousine, vous êtes comme cette figure, toujours debout en habit de voyage, les yeux tournés vers le chemin et toute prête à partir ; cependant bien des années ont passé et passeront encore pendant lesquelles vous resterez comme elle à la place où vous êtes. Au nom du ciel! résignez-vous en personne sage, en personne chrétienne, et ne fondez aucun espoir sur la mort de notre oncle.

— Votre conseil est bon, et je le suivrai, ma cousine, répondit Mlle de Saint-Elphège d’un air de froide déférence et avec une amertume mal contenue je vois d’ailleurs que vous êtes prévenue en faveur de M. de Champguérin, et qu’à grand’peine vous me croirez peut-être lorsqu’il aura gagné le cœur de ma nièce, lorsqu’elle voudra l’épouser.

— C’est impossible! répéta la baronne avec un léger sourire et en reprenant sa lecture.

Durant cet entretien, Clémentine, le jeune baron et l’abbé Gilette poursuivaient leur promenade. L’abbé, le corps penché et la soutane retroussée dans ses poches, errait çà et là, fouillant tous les plis du terrain pour trouver un panicaut à tête bleue, qui devait compléter la série de ses chardons. Antonin le suivait en manœuvrant son filet de gaze, et jetait des cris de triomphe lorsqu’il était parvenu à attraper quelque grande sauterelle aux ailes jaunes bordées de noir, quelque cigale au corselet d’acier qui claquetait encore, enivrée par les derniers rayons du soleil. Le jeune entomologiste, peu curieux de botanique. considérait d’un air de commisération le digne, précepteur, qui plongeait intrépidement la main dans les touffes de chardons et se piquait