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— Eh ! que vous a-t-elle dit ? demanda négligemment Mlle de Saint-Elphège.

— Qu’elle avait fait un bien mauvais rêve, répondit Clémentine toujours du même ton ingénu.

Le vague soupçon qui avait traversé l’esprit de la vieille fille se dissipa aussitôt ; elle ne chercha plus à pénétrer ce qui se passait dans l’esprit de sa nièce, et se borna à lui dire en manière d’avertissement : — Pendant la messe, M. le marquis a les yeux sur tout le monde, il ne faudrait pas avoir des distractions et sourire derrière son livre d’Heures.

Un moment près, l’abbé Gilette entra en saluant gauchement et en jetant les yeux de tous côtés, comme s’il eût cherché quelqu’un jusque sous les meubles.

— Votre élève n’est donc pas avec vous monsieur l’abbé ? demanda Mme de Barjavel. — Il arrive sur mes pas certainement, madame la baronne, se hâta de répondre le digne homme en regardant avec anxiété du côté de la porter tantôt je l’ai vu habillé, et son valet de chambre était train de lui remettre ses gants, son mouchoir, son chapeau.

— Ne cherchez pas à l’excuser, monsieur l’abbé, interrompit Mme de Barjavel d’un ton sévère ; encore un moment, et il se sera fait attendra. Voilà M. de la Graponnière qui se range près de la porte ; on ouvre, M. le marquis va paraître, et Antonin n’est pas ici ! Je suis très mécontente.

— Le voilà ma tante, le voilà ! dit vivement Clémentine, qui venait d’apercevoir le petit baron remontant à toutes jambes la grande cour.

Une toux sèche se fit entendre et annonça la présence du marquis : un valet ouvrit les deux battans, et La Graponnière s’inclinant jusqu’à terre en étendant la main. Au même instant, Antonin entra dans la salle, tout rouge, tout essoufflé et composant son maintien. Le marqua ne parut que quelques secondes après lui et ne put s’apercevoir de son absence.

— On n’a rien à lui dire, il ne s’est pas fait attendre, murmura Clémentine en respirant profondément, comme une personne soulagée d’une grande inquiétude.

Le marquis s’avança ferme sur ses jambes, une main appuyée au bras de La Graponnière et tenant de l’autre une longue canne à pomme d’or. Il portait un habit bleu-clair chamarré de passement d’argent ; un large baudrier soutenait son épée, et une écharpe nouée sur le côté maintenait sa longue taille. Son chapeau à bords retrousses en triangle et orné d’une ganse de pierreries était posé sur une vaste perruque dont les anneaux retombaient sur tes épaules. Son visage, sillonnée de rides innombrables, était comme encadré dans cette énorme frisure,