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à peu près comme les portraits qui sont restés des femmes célèbres de cette époque, avec les cheveux frisés en spirales, la taille longue et busquée, la gorge un peu découverte, des nœuds de rubans dans coiffure et un fil de perles au cou. Le vieux marquis demeura tout charmé à leur aspect. Bien que ses regards fussent accoutumés à rencontrer les triomphantes beautés de la cour, il n’avait jamais vu d’aussi ravissantes personnes. Après les avoir un instant contemplées, il se tourna vers ses sœurs et leur dit gravement Madame de Saint-Elphège, madame de Sénanges, présentez-moi donc mes nièces.

Mme de Sénanges prit par la main une des trois Grâces, et dit en souriant : — Monsieur le marquis, voici ma fille unique, ma chère Éleonore. Nous avons eu l’honneur de vous faire part, il y a quelques mois de son mariage avec le baron de Barjavel.

— Vous vous êtes un peu trop hâtée peut-être de la marier, répondit le marquis en hochant la tête ; les Barjavel sont d’assez bonne maison je le sais, une famille languedocienne très puissante autrefois, mais à peu près ruinée par les guerres du temps de la ligue.

— Oui, monsieur le marquis comme la vôtre y au service du roi répondit fièrement la jeune femme. Seulement les Barjavel n’ont pas su, comme vous, relever leur fortune.

— C’est pourquoi je persiste à dire qu’on s’est trop hâté de vous marier, belle brunette, répliqua familièrement le marquis. J’aurais mieux fait pour vous. N’en parlons plus.

— Ma fille aînée s’est mariée aussi avec votre agrément, se hâta de dire Mme de Saint-Elphège. J’ai eu l’honneur de vous présenter son mari, un brave officier…

— Un officier de fortune, interrompit le marquis toujours du même ton tranchant et familièrement poli. À la vérité, on reconnaît en lui de grands talens, et, s’il n’est pas tué, il pourra faire son chemin. N’a-t-on pas vu de nos jours un homme qui avait fait ses premières armes en robe noire, par-devant messieurs du Châtelet, devenir lieutenant-général des armées du roi et maréchal de France Votre mari, ma belle nièce, n’a pas une pire origine que M. de Catinat.

À ce compliment équivoque, la jeune femme rougit et baissa les yeux sans répondre, en reculant derrière sa mère.

—Il raille, cousine, lui dit tout bas la petite baronne de Barjavel d’un air d’indignation. Voici ma seconde fille, ma Joséphine, dit Mme de Saint-Elphège en amenant devant le marquis une petite personne fraîche ; blonde, gracieuse et jolie comme un ange.

— J’espère qu’on n’a pas encore songé à la marier, cette mignonne-là, s’écria M. de Farnoux en flattant du bout des doigts la joue rosé de l’aimable jeune fille ; sa physionomie annonce un charmant naturel. Il