Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà que nous ne nous faisons pas faute de nous tutoyer comme autrefois interrompit Antonin. Ah si ma mère-nous entendait ! Aussi, quelle idée de m’avoir défendu de te dire tu et toi? Pourquoi dois-je te porter maintenant tous ces respects et te parler avec tant de cérémonie ?

— Parce que je ne suis plus une petite fille, mon petit cousin répondit-elle avec un sérieux adorable ; parce qu’il n’est pas séant de prendre ces libertés enfantines avec une demoiselle de dix-sept a passés…

— C’est bon, c’est bon, interrompit Antonin ; cela ne m’empêchera pas de te tutoyer quand nous serons seuls, car autrement je ne trouverais rien à te dire. Oui, oui, je n’y manquerai pas quand nous chasserons aux papillons, quand nous jouerons au volant sur l’esplanade quand nous veillerons ici, en cachette, comme ce soir.

— C’est cela, interrompit-elle à son tour, tu voudras toujours babiller et jouer avec moi comme ’un franc écolier. Allons, monsieur le baron un peu de tenue s’il vous plaît, asseyez-vous là, posément, et, puisque vous voulez connaître mes petits secrets, lisez cette lettre.

À ces mots, elle se rangea pour lui faire place sur le vaste fauteuil où tous deux tenaient à l’aise comme dans un canapé ; puis elle avança le pupitre, et, une main appuyée au bras d’Antonin, elle suivit des yeux pendant qu’il lisait :


A Mlle Cécile de Verveilles, au couvent des dames Bénédictines de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, à Paris.

« La Roche-Farnoux, ce 20 mai 17…

«MA CHÈRE CÉCILE,

« Quoique je n’aie pas rempli la promesse que j’avais faite de t’écrire aussitôt après mon arrivée je me suis bien gardée de l’oublier, et je t’assure que, depuis notre séparation, je n’ai pas passé un seul jour sans songer à toi. J’ai soigneusement renfermé dans un coffret tous les gages d’amitié que je reçus en partant de mes chères compagnes ; tous ces petits objets sont pour moi de précieuses reliques, et je ne souffre pas qu’aucune main y touche, ni même que personne les regarde. Le mystère que j’en fais a tourmenté long-temps M. le baron Antonin de Barjavel, mon cousin. Il aurait donné tout au monde pour savoirs qu’il y avait dans ce coffret que je n’ouvrais jamais que quand j’étais seule, et dont j’ai toujours là clé dans ma poche. Comme il est extrêmement curieux….. ? »

— Par exemple! murmura Antonin.

« Comme il est extrêmement curieux, » répéta la jeune fille en posant son doigt effilé sur la ligne commencée, et Antonin continua : « il