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léger et où règne une froide température. On a cru long-temps qu’en les faisant descendre de leurs hautes montagnes pour les contraindre d’habiter les plaines, on les exposait à une mort certaine. Dans les premiers temps qui suivirent la conquête du Pérou, des Espagnols transportèrent plusieurs de ces animaux en Europe ; il parait même qu’un lama fut amené vivant du Pérou en Hollande, en 1558, mais ces premières tentatives d’acclimatation échouèrent généralement, et ainsi s’accrédita l’opinion que les lamas, les alpacas et les vigognes ne pouvaient vivre loin des Cordilières. L’erreur était ici d’autant plus regrettable, qu’on pouvait espérer de ces animaux de très grands services. Haut d’environ quatre pieds, long de cinq ou six y compris la tête et le cou, le lama fait la fortune des Indiens depuis Potosi jusqu’à Caracas. Il sert de bête de somme, et, après sa mort, il fournit dans sa chair une bonne nourriture. Sa laine est l’objet d’un commerce fort étendu, et on en fait des vêtemens ; les Espagnols utilisent sa peau dans la fabrication des harnais. Le lama porte environ une charge de cent cinquante livres ; il marche avec une extrême lenteur, et ne peut guère parcourir dans une journée que l’espace de quatre ou cinq lieues ; mais son tempérament doux, sa sobriété, sa patience, rachètent amplement cet inconvénient. La conformation de ses pieds fourchus et armés d’une sorte d’éperon lui permet d’ailleurs de se hasarder avec confiance sur les terrains les plus impraticables. Les lamas se reproduisent dès l’âge de trois ans ; à douze ans, ils sont dans toute leur vigueur ; à quinze, ils sont épuisés et ne tardent pas à mourir. L’alpaca est une variété zoologique du lama. Il n’en est pas de même de la vigogne, qui est sauvage et fuit à l’approche de l’homme avec une grande rapidité. La laine de l’alpaca est plus précieuse que celle du lama, qui est surtout employé comme bête de somme. Quant à la toison de la vigogne, elle sert à faire d’excellentes couvertures et des tapis d’un très grand prix ; elle ne le cède en rien au plus beau poil des chèvres du Thibet.

La question de la naturalisation des lamas, des alpacas et des vigognes fut agitée, nous l’avons dit, aussitôt après la conquête du Nouveau-Monde. Elle ne fut abandonnée pendant quelque temps que faute d’avoir été convenablement étudiée. On n’avait pas su placer les lamas qu’on se proposait de naturaliser dans des conditions climatériques analogues à celles au milieu desquelles la nature les avait fait naître. Depuis les premières et malheureuses tentatives des Espagnols, des essais plus intelligens ont été tentés, et aujourd’hui M. I. Geoffroy Saint-Hilaire a pu annoncer à l’Académie des Sciences que ce curieux problème d’histoire naturelle générale devait être regardé comme résolu. Une série d’expériences heureuses, dont plusieurs pays ont été le théâtre, ne permet plus en effet de regarder comme impossible la naturalisation des lamas. Les succès obtenus par lord Derby, dans son parc, près de Liverpool, le magnifique troupeau de lamas et de ses congénères que possède le roi Guillaume II aux portes de La Haye, sont une preuve irrécusable que l’Europe offre dans ses végétaux comme dans son climat toutes les ressources nécessaires pour la conservation de ces animaux. C’est par erreur qu’on a cru long-temps que les plantes des Cordilières, et particulièrement l’icho, étaient un élément indispensable de la nourriture des lamas, des alpacas et des vigognes. Une vigogne qui a vécu quelques années à la ménagerie du Muséum s’était nourrie avec du papier pendant une longue traversée, et avait conservé pour cette espèce d’aliment