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au chanteur le temps de respirer, d’épanouir son imagination, et de semer l’espace qu’il parcourait de caprices, de gorgheggi adorables, qui embellissaient la vérité sans la dénaturer. Le vrai caractère de cette révolution, c’est que le virtuose dut échanger sa royauté absolue contre une royauté limitée, mais encore glorieuse, et se contenter d’être la partie saillante d’un tout complexe et puissant.

Cette révolution musicale et des raisons plus graves de convenance et d’humanité firent disparaître les castrats de l’opéra italien. Les deux derniers qu’on ait entendus en Europe furent Crescentini et Veluti, qui chantait encore à Londres en 1826. Rossini les remplaça par des contralti féminins, et, de même qu’il s’était trouvé d’admirables virtuoses pour propager dans toute l’Europe les créations des maîtres italiens du XVIIIe siècle, il se forma toute une famille de chanteuses incomparables qui rendirent le même service aux chefs-d’œuvre de la nouvelle école musicale. La Gaforini, la Malanotte, la Marcolini, la Mariani, Mme Pisaroni, Mme Pasta et Mme Malibran, tels sont les principaux représentans de ce groupe de contralti qui exercèrent sur le talent de Rossini une influence remarquable. C’est à ce groupe aussi que se rattache Mlle Alboni.

Parmi ces cantatrices, les unes personnifient le côté sérieux, les autres le côté comique du génie italien. Il en est de merveilleusement douées qui réussissent dans les deux genres. La première de toutes, suivant l’ordre chronologique, la Gaforini, excellait surtout dans la musique bouffe ; Elisabeta Gaforini a été l’une des plus charmantes virtuoses du commencement du XIXe siècle. Elle brilla en Italie et dans les principales villes de l’Europe, à peu près de 1796 à 1815. Elle possédait une voix de contralto très souple et très sonore qui montait au fa et descendait au la. Cette cantatrice se fit particulièrement admirer dans la Dama soldato de Federici, dans le Ser Marc’ Antonio de Pavesi, et dans il Ciabatino[1]. Le nom d’Adélaïde Malanotte est consacré par le souvenir d’un chef d’œuvre immortel. Rossini trouva la Malanotte, en 1813, à Venise, où elle arrivait recommandée par quelques succès obtenus dans des concerts publics et sur des scènes secondaires. Il écrivit pour elle le rôle de Tancredi. Dès-lors la réputation de la Malanotte se répandit avec éclat dans toute l’Italie, et son nom y vit encore à l’ombre de l’heureux et brillant génie dont elle fut la cantatrice bien-aimée et dont elle inaugura la gloire immortelle. Unissant toutes les graces de la femme à une voix de contralto puissante, pure et facile, la Malanotte chantait avec autant de vigueur que de sentiment, et savait allier la grace de la fantaisie aux mouvemens les plus pathétiques. C’est elle qui, mécontente du premier air que lui avait écrit le jeune maëstro, en exigea un autre et donna lieu, par ce caprice de prima donna assolula, à la création de la fameuse cavatine : Tu che accendi, que le monde entier sait par cœur. Lorsque, dans le beau duo de Tancredi et d’Argirio, la Malanotte, brandissant son épée, lançait cette phrase incomparable : Il vivo lampo di questa spada ! elle arrachait à la salle entière

  1. Les deux vers suivans, qui se trouvent au bas d’un portrait de la Gaforini, gravé à Milan en 1805, témoignent de la grande sensation qu’elle a produite et comme femme et comme cantatrice :

    La vedi o l’odi, éguale è il tuo periglio :
    Ti vince il canto, e ti rapisce il ciglio.