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Toute la musique du XVIe siècle, ces madrigaux à quatre, à cinq et à six parties, d’une harmonie si pure et si élégante, ces chansons, ces airs de ballet si nombreux qu’on chantait en Europe dans toutes les réunions de la société polie, furent les premiers résultats de cette révolution accomplie par le sentiment et la fantaisie des chanteurs. C’étaient eux qui avaient guidé la plume des plus grands contre-pointistes, leurs excursions vocales avaient éveillé l’imagination des compositeurs, élevé le diapason, purgé l’harmonie de tout élément barbare, et provoqué le développement d’une mélodie plus ample et plus colorée. Ce furent les chanteurs qui inspirèrent à Palestrina sa réforme de la musique d’église, et ce furent encore quelques virtuoses de génie qui créèrent le drame lyrique à la fin du XVIe siècle. Le chant, qui avait eu une si grande influence sur les transformations successives de la musique, prit un nouvel essor à partir de cette époque. Les opéras de Monteverde, de Cavalli, de Cesti, et de presque tous les compositeurs qui ont précédé Alexandre Scarlati, n’étaient guère qu’une longue suite de récitatifs solennels, d’une allure très lente, interrompus fréquemment par de longs repos. L’idée mélodique flottait encore incertaine, et se dégageait à peine des limbes de l’harmonie dissonnante et de la modulation, qui ne faisaient également que de naître. Le rayonnement de la passion en ses mille nuances, le contraste des divers sentimens dans des formes mélodiques longues, amples et développées comme l’air, le duo, le trio, etc., n’existaient pas encore, et devaient être le partage d’une époque plus fortunée, du XVIIIe siècle, l’âge d’or des grands virtuoses.

L’influence des chanteurs dut agrandir, on le comprend, en raison des glorieux résultats qu’elle produisait. L’idolâtrie du chant se traduisit bientôt en un fait significatif qui mérite de nous arrêter. Dans les premiers opéras italiens, on n’employa d’abord que deux espèces de voix : le ténor et le soprano. La voix de basse ne fut admise dans l’opéra buffa qu’à l’époque de Pergolèse, dans la première moitié du XVIIIe siècle. La partie de soprano fut chantée primitivement par des femmes et par des enfans. La fille de Jules Caccini, l’un des créateurs du drame lyrique, et la fameuse Archilei, ont été les plus célèbres cantatrices dramatiques de la fin du XVIe siècle, les premières dive qui aient été couronnées de roses et de sonnets. Les enfans sujets à la mue, dont la voix inégale et faible se refuse à l’expression des sentimens énergiques, furent bientôt écartés de la scène lyrique, et l’on vit apparaître à leur place des voix et des êtres exceptionnels qui devaient exercer sur l’art de chanter et sur la musique dramatique une action excessive peut-être, mais, sous bien des rapports, salutaire.

Les chanteurs castrats, déjà connus dans l’antiquité, se montrèrent en Italie dès la fin du XIIe siècle. Un canoniste de ce temps les désigne d’une manière indirecte : Olims cantorum ordo, non ex eunuchis ut hodiè fit, etc. Une bulle du pape Sixte-Quint, adressée au nonce apostolique en Espagne, nous apprend que depuis long-temps les castrats étaient admis comme chanteurs dans les principales églises de la Péninsule. Au commencement du XVIe siècle, il y en avait déjà six dans la chapelle de l’électeur de Bavière, dirigée alors par le divin Orland de Lassus, le contemporain et le rival de Palestrina. Ils s’introduisirent dans la chapelle papale vers la fin du XVIe siècle, où ils remplacèrent les enfans et des espèces de hauts-ténors ou contraltini, qui chantaient la partie