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que tous ses parens, à Tolède, s’étaient déclarés pour don Henri, et que leur défection avait entraîné celle de leurs concitoyens. La vue de don Suero parut rappeler au roi la perte de la plus importante ville de son royaume. L’entrevue, gênée par la contrainte, fut courte. Après avoir présidé à la célébration de la fête, l’archevêque alla coucher à son château de la Rocha, probablement parce qu’il avait cédé au roi son palais dans la ville. Le lendemain, après l’heure de la sieste, il fut mandé par don Pèdre. Aussitôt il se rendit à Saint-Jacques avec une suite peu nombreuse, composée presque exclusivement d’ecclésiastiques. Arrivé dans la ville et sur la place de la cathédrale, il aperçut le roi se promenant sur une des terrasses de l’église. En ce moment un écuyer galicien, nommé Fernand Perez Churrichao, bien monté, la lance au poing, suivi de quelques cavaliers, parut derrière le prélat dont il avait l’air de grossir l’escorte. Tout à coup, lorsque l’archevêque mettait pied à terre sur le parvis même de la cathédrale, Churrichao et ses compagnons fondirent sur lui, et, en un clin d’œil, dispersèrent son escorte. Du haut de la terrasse, don Pèdre leur criait de ne pas tuer l’archevêque. Celui-ci et un chanoine qui l’accompagnait se jetèrent dans l’église, espérant y trouver un asile ; mais les assassins les y suivirent l’épée haute et les percèrent de mille coups au pied même de l’autel. Assurés que leurs victimes avaient cessé de vivre, ils remontèrent à cheval, traversèrent toute la ville sans obstacle et gagnèrent la campagne[1].

On ne manqua pas d’attribuer à don Pèdre la mort de don Suero, et bien des présomptions se réunissaient pour l’en rendre responsable. Devant ses familiers, il avait laissé voir sa haine contre le prélat et l’avait accusé de complicité avec les rebelles de Tolède. En outre, au moment même où l’archevêque était massacré au milieu du chœur, le père de Churrichao se trouvait auprès du roi, comme s’il fût venu garantir la fidélité de son fils à exécuter une vengeance commandée. Enfin le séquestre mis aussitôt sur tous les biens du prélat, ses forteresses données à don Fernand de Castro, cet empressement à recueillir les fruits du crime, ne semblaient-ils pas en désigner clairement le véritable auteur ? Toutefois Ayala, dont j’emprunte ces détails, rapporte que dans la suite don Pèdre nia constamment toute participation à ce forfait[2]. Cette assurance est grave de la part d’un prince qui se croyait un droit absolu sur la vie de ses sujets, et qui, loin de désavouer ses actes les plus cruels, exprima souvent le regret d’avoir épargné quelques-uns de ses ennemis. Peut-être la mort de don Suero ne fut-

  1. Ayala, p. 418. abr.
  2. Ayala, p. 418.