Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de le semer ainsi sur cette terre inhospitalière : — « Oui, je sème, dit le roi avec un sourire farouche, mais un jour je viendrai récolter. » Le chevalier se tut et le laissa à ses rêves de vengeance[1].

Repoussé du Portugal, don Pèdre essaya de rentrer en Castille et s’approcha de la ville d’Alburquerque, mais on lui en ferma les portes, et il eut la douleur de voir la moitié de sa petite troupe l’abandonner pour se joindre à la garnison rebelle. Force lui fut de repasser encore une fois la frontière, et, vaincu par la nécessité, il s’humilia jusqu’à faire demander au roi de Portugal un sauf-conduit et une escorte pour traverser ses états et se rendre en Galice. Là, du moins, il espérait trouver un ami fidèle, don Fernand de Castro, qui commandait en maître dans cette province.

Le roi de Portugal lui dépêcha aussitôt le comte de Barselòs et don Alvar, son favori, frère de la fameuse Inès de Castro ; mais déjà les égards dus au malheur semblaient une contrainte pénible envers un prince si manifestement trahi par la fortune. Les deux chevaliers déclarèrent au fugitif qu’ils s’exposeraient à la colère de l’infant, fils de leur maître, s’ils l’accompagnaient suivant leurs instructions. Cependant une somme de 6,000 doubles avec le présent de deux épées magnifiques et de ceintures d’argent richement travaillées[2] les détermina à le conduire jusqu’à Lamego. Là, en se séparant du roi, ils exigèrent qu’il leur remît la jeune Léonor, fille de don Henri, que le roi de Portugal voulait rendre à son père, pour lui faire oublier la protection dérisoire qu’il avait accordée un instant au roi fugitif[3].

Une légende romanesque s’attache à cette jeune fille. On l’appelait Léonor-des-Lions. Quelques années auparavant, s’il faut ajouter foi au témoignage d’un vieux chroniqueur, don Pèdre l’avait fait jeter toute nue dans une fosse où il gardait des lions affamés. Ces animaux, moins féroces que lui, respectèrent l’innocente enfant et ne lui firent aucun mal. La leçon de générosité que lui donnaient les lions ne fut point perdue pour don Pèdre. Il avait fait élever Léonor avec soin, et la gardait moins comme une prisonnière que comme la compagne de ses filles[4].

Réduit à une escorte d’environ deux cents cavaliers, le roi traversa rapidement et non sans danger la province portugaise de Tras-os-Montes, et toucha de nouveau le territoire castillan à Monterey, petite ville de Galice située sur l’extrême frontière. Celui qui naguère commandait en maître absolu à toute la Castille, qui, par ses armées, occupait

  1. Duarte do Liao, Chronicas dos reis de Port., t. II, p. 224.
  2. Ces ceintures, en usage au XIVe siècle, et nommées ceintures d’honneur, parce que les chevaliers seuls avaient droit de les porter, se composaient de larges plaques de métal réunies par des anneaux ; on les ceignait fort bas.
  3. Ayala, p. 415.
  4. Duarte do Liao, Chron. dos reis de Port., t. II, p. 225.