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livrer bataille, encore moins s’enfermer dans une place, alors assez médiocrement fortifiée, pour y subir les hasards d’un siège. Don Pèdre, retiré dans son palais, était inaccessible, ne donnait aucun ordre, et ne faisait rien pour encourager ses partisans encore très nombreux, surtout parmi le peuple et la bourgeoisie. Cependant l’ennemi avançait toujours. Ses coureurs avaient paru à quelques lieues de Burgos ; une seule marche pouvait l’amener devant la ville. La veille du dimanche des Rameaux, un mouvement inaccoutumé se fit remarquer dans le palais, on sellait les chevaux et les mules, on chargeait précipitamment les bagages. Six cents cavaliers maures, gardes ordinaires de don Pèdre, commandés par don Mohamed-el-Cabezani, envoyé du roi de Grenade, étaient en bataille devant les portes. Aussitôt le bruit se répand que le roi va partir. Aucun des magistrats n’était prévenu. Il n’avait instruit de ses desseins aucun des riches-hommes qui étaient venus lui offrir leur épée ; nulle disposition pour la défense de la place, aucune pour la sûreté d’un trésor considérable renfermé dans le donjon. Le roi semblait avoir tout oublié, tout, excepté une vengeance à exercer, une trahison à punir. On venait, par son ordre, de mettre à mort dans l’enceinte du château Juan de Tovar, le frère du gouverneur de Calahorra, qui avait rendu sa ville au prétendant.

Le peuple, rassemblé autour du palais, contemplait dans un muet abattement ces apprêts de départ. À la vue du roi, des cris de désespoir se mêlèrent aux acclamations. Les principaux de la bourgeoisie se jetèrent à ses pieds, et, les larmes aux yeux, le conjurèrent de ne pas les abandonner. — « Nous avons des vivres et des armes, disaient-ils, nous voulons nous défendre. Tout ce que nous possédons au monde, sire, nous vous l’offrons. Mais restez avec vos fidèles sujets. » - D’une voix mal assurée, le roi répondit qu’il les remerciait de leur fidélité. Son départ cependant était nécessaire. Il était instruit que le Comte et la compagnie avaient résolu de marcher sur Séville, et il fallait pourvoir à la sûreté des infantes et du trésor royal. — Quelques bourgeois essayèrent de lui représenter combien il était improbable que don Henri pensât à se diriger sur l’Andalousie. Au contraire, les rapports les plus récens témoignaient qu’il tournait toutes ses forces contre Burgos. Malgré ces observations, le roi demeura inébranlable. Alors les magistrats de la ville lui demandèrent respectueusement quels ordres il leur donnait en les quittant ainsi au moment du péril. — « Faites au mieux que vous pourrez, » répondit-il avec impatience. — « Sire, reprit l’orateur des bourgeois, nous voudrions avoir l’heur de défendre cette ville, qui est vôtre, contre vos ennemis ; mais, puisque vous-même, disposant de tant de bons cavaliers, ne croyez pas pouvoir la défendre, que voulez-vous que nous fassions ? » Don Pèdre gardant le silence, l’alcade reprit : — « S’il arrivait, sire, ce qu’à Dieu ne plaise,