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pour les manier plus facilement[1]. On ne se servait guère des chevaux de bataille, nommés coursiers, que pour la poursuite ou la retraite ; quelquefois, mais rarement, pour faire une trouée dans la ligne ennemie[2]. L’infanterie anglaise était la meilleure, ou plutôt la seule de l’Europe. Armés de grands arcs en bois d’if, les fantassins anglais s’abritaient derrière des pieux plantés en terre, et, protégés ainsi contre la cavalerie, décochaient des flèches longues d’une aune, auxquelles peu de cuirasses pouvaient résister. Telle était leur réputation de dextérité, que, par allusion au nombre de flèches qu’ils portaient dans leurs carquois, on disait sur la frontière d’Écosse qu’un archer anglais tenait vingt-quatre Écossais dans sa trousse. Dans les armées françaises l’arbalète était préférée à l’arc ; mais cette arme n’était maniée avec adresse que par des étrangers, Génois pour la plupart et chèrement soldés. Les meilleures armes, les meilleurs soldats de France et d’Angleterre étaient rassemblés sous le même drapeau dans la compagnie blanche. Leur tactique était aussi nouvelle que leurs armures pour le pays qu’ils allaient envahir. Les Espagnols, accoutumés à la guerre d’escarmouches rapides contre les Maures, avaient adopté leur manière de combattre. Couverts de cottes de mailles légères ou de hoquetons de toile piquée[3], montés sur des chevaux vifs et légers, leurs génétaires lançaient des javelines au galop, puis tournaient bride sans se soucier de garder leurs rangs. Sauf les ordres militaires, mieux armés et mieux disciplinés que les génétaires, la cavalerie espagnole était hors d’état de résister en ligne aux gendarmes anglais ou français. L’infanterie, composée des contingens fournis par les villes et de paysans amenés par leur seigneur, n’avait guère d’autre arme défensive qu’une rondache. Elle combattait avec des zagaies ou des frondes, et n’était redoutable que derrière des rochers ou des murailles. En plaine, elle ne pouvait disputer la victoire à des soldats sans patrie, couverts de fer, également exercés à combattre de près et de loin. Tout indiquait donc que l’entrée de la grande compagnie en Espagne allait jeter dans la balance un poids irrésistible.


II.

Elle se mit en mouvement dès le milieu de l’année 1365. Malgré l’enthousiasme que lui montraient ses nouveaux soldats, Du Guesclin avait jugé prudent de les éloigner au plus vite du pays où ils avaient leurs habitudes, car il était à craindre que l’inconstance naturelle à de

  1. Froissart appelle cette opération retailler les lances.
  2. On l’essaya vainement à Poitiers. V. Froissart.
  3. Perpuntes. Ayala, p. 99. Abrev. — Cavallo alforado. Traités du roi d’Aragon avec don Henri.