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eût gagné une province. Il disait vrai, les compagnies, en évacuant la France, lui rendaient son royaume.

Sans perdre de temps, Du Guesclin réunit toutes les bandes et en forma une armée considérable. Un assez grand nombre de volontaires illustres se joignirent aux aventuriers, attirés par la réputation de leur général et le désir de faire armes, comme on disait alors. On vit accourir sous sa bannière le maréchal d’Audeneham, qui, peu d’années auparavant, avait échoué dans une mission semblable à celle où Du Guesclin venait de réussir. Le maréchal était alors prisonnier sur parole du prince de Galles, et, à son exemple, maints braves chevaliers, maltraités par la fortune dans la dernière guerre, se mirent gaiement en route pour l’Espagne, dans l’espoir de réparer leurs pertes et de regagner leurs rançons aux dépens de don Pèdre. Un prince du sang royal, le comte de La Marche, ne dédaigna pas de s’enrôler parmi cette troupe de hardis volontaires. Parent de l’infortunée Blanche, il avait juré de tirer vengeance de son meurtrier. Le sire de Beaujeu, également parent de Blanche, partit avec lui. Ils étaient les seuls qu’un mobile purement chevaleresque conduisît en Espagne.

Toutes les bandes réunies s’élevaient à plus de douze mille hommes, la plupart gendarmes, c’est-à-dire cavaliers pesamment armés. Les deux tiers étaient Français ou Bretons, le reste Anglais, ou Gascons sujets du roi d’Angleterre. Aucun de ces derniers ne s’était inquiété de demander à Édouard III la permission de servir contre un prince allié de la Grande-Bretagne. Alors chaque capitaine se croyait libre de louer sa lance à qui le payait mieux, et les plus scrupuleux, en s’enrôlant au service d’un chef étranger, stipulaient seulement qu’ils ne combattraient pas contre leur légitime suzerain. Sir Hugh de Calverly conduisait les bandes anglaises. Long-temps adversaire de Du Guesclin, il était aujourd’hui son plus habile lieutenant.

À cette époque, l’équipement des hommes d’armes, Français et Anglais, était fort supérieur à celui des Espagnols. On en voit la preuve dans l’étonnement que causa à ces derniers la vue des armures en usage parmi les guerriers du Nord[1]. Elles se composaient, au XIVe siècle, de plaques d’acier ou de fer forgé qui recouvraient toutes les parties du corps, et qu’on attachait par-dessus un pourpoint de cuir épais, ou même quelquefois par-dessus une cotte de mailles, comme si l’on eût voulu combiner et réunir les avantages du harnais moderne et de l’ancienne panoplie. D’ordinaire, au moment du combat, les hommes d’armes mettaient pied à terre et raccourcissaient leurs lances

  1. Ayala, Abrev., p. 399. — Passage curieux où le chroniqueur nomme, d’après leurs noms français, toutes les pièces des armures de plaques, inconnues en Espagne avant l’arrivée de la grande compagnie.