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Après la prise de Castel-Favib, don Pèdre s’était porté contre Orihuela, une des places les plus importantes du royaume de Valence. Le roi d’Aragon résolut de tout risquer pour en prévenir le siége. Il rallia toutes ses troupes disponibles, et les réunit vers la fin de novembre autour d’Algecira, au nombre de trois mille hommes d’armes et quinze mille fantassins. Le 1er décembre, il les mit en mouvement avec un grand convoi de vivres, et, le surlendemain matin, toute cette armée se déployait dans un lieu nommé Campo de la Matanza, fort près de Lix, où campait le roi de Castille. Les Aragonais avaient fait dix-huit lieues d’Espagne en deux jours, marchant hors des routes frayées et parmi des landes désertes. Le royaume de Valence, si peuplé et si riche sous la domination des Maures, avait bien changé d’aspect. On en jugera par le fait suivant, rapporté dans les mémoires de Pierre IV. Son armée, s’avançant sur une ligne immense, faisait lever à chaque instant une quantité de gibier innombrable. Pendant la marche, on tua dix mille perdrix et assez de lièvres pour en remplir cent charrettes. Voilà ce qu’était devenue cette terre si fertile, si bien cultivée autrefois[1].

Malgré la fatigue de la route, les Aragonais, égayés par cette chasse miraculeuse, étaient pleins d’ardeur et de confiance, persuadés que cette fois ils allaient terminer la guerre par une bataille. Pierre IV partageait ces espérances ; il comptait surprendre son ennemi au dépourvu et ne cachait pas son assurance de la victoire. En arrivant à son quartier, il se jeta sur un matelas pour prendre quelque repos avant la journée du lendemain. « Dormez maintenant, sire, lui dit le comte de Trastamare, vous voilà au terme de ces marches si pénibles. Mais c’est ainsi que les grands rois écrasent leurs faibles adversaires ! Par votre diligence, vous avez crevé aujourd’hui l’œil droit du roi de Castille votre ennemi[2]. » Cette confiance des Aragonais, cette certitude de la victoire était fondée sans doute sur leurs intelligences secrètes avec les mécontens de l’armée castillanne. Don Pèdre cependant ne se laissa pas surprendre. Averti par ses coureurs, il s’était hâté de faire sortir de Lix toutes ses troupes et les avait rangées en bataille. Il avait six mille chevaux, hommes d’armes ou génétaires, et onze mille fantassins. Au lever du soleil, les deux armées se trouvèrent en présence, assez rapprochées pour que de part et d’autre on pût distinguer les bannières. Don Pèdre réunit tous ses capitaines pour tenir conseil. « Le roi d’Aragon, dit-il, marche sur Orihuela, pour nous empêcher d’en faire le siége. Devons-nous l’attaquer ? » Il se fit un grand silence. Chacun regardait le maître de Calatrava, Diego de Padilla, comme pour l’engager à parler au nom de tous. « Sire, dit le Maître, il y a long-temps que Dieu a

  1. Carbonell, p. 194, verso.
  2. Ibid., ibid.