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sa défiance et à l’attirer dans le château d’Almudover, où il s’était rendu avec don Henri et le roi de Navarre peu de temps après les conférences de Sos. Il est étrange que le vieux politique qui venait de faire tomber l’infant don Fernand dans un piège semblable ne reconnût le péril que lorsqu’il se trouvait déjà entre les mains de ses ennemis. A peine était-il arrivé au château d’Almudover, que le roi de Navarre et don Henri vinrent demander compte au roi d’Aragon d’un bruit répandu, disaient-ils, dans toute l’armée : on venait de les avertir que tous les deux allaient être assassinés par son ordre[1]. En ce temps, pareille rumeur n’avait rien de bien improbable, et c’est Pierre IV lui-même qui nous fait connaître cette accusation, concertée, suivant toute apparence, entre les ennemis de Cabrera. Le roi se justifia et voulut rechercher les auteurs de cette calomnie. Aussitôt chacun lui nomma son ministre. Celui-ci, prévenu du complot, avait déjà pris la fuite. Il n’en fallut pas davantage pour qu’on le déclarât coupable des crimes les moins avérés et les plus absurdes[2]. Poursuivi chaudement et bientôt arrêté, il fut remis à son nouveau suzerain, le roi de Navarre, qui, après l’avoir gardé quelque temps dans un cachot, honteux peut-être du role de bourreau, le livra à Pierre IV, son seigneur naturel. Après un jugement dérisoire, Bernal de Cabrera eut la tête tranchée[3]. Son fils, le comte d’Osuna, prisonnier en Castille depuis le siège de Calatayud, obtint de don Pèdre la faveur d’être mis à rançon. Bientôt après il prit du service en Castille, et, s’étant dénaturé, accepta le commandement d’une des galères envoyées en croisière sur les côtes d’Aragon[4].

Le comte de Trastamare trouvait des rois pour tuer ses ennemis politiques ; il se chargeait de venger lui-même ses injures particulières. Parmi les seigneurs castillans attachés à sa fortune, Pero Carrillo tenait le premier rang dans sa petite cour. Il était son majordome. Depuis sa fuite de Séville, en 1350, il ne l’avait jamais abandonné. C’était à lui que la comtesse de Trastamare devait sa délivrance ; c’était lui qui avait porté le premier coup à l’infant d’Aragon. Jamais sa fidélité ne s’était démentie au milieu des intrigues et des dissensions continuelles qui partageaient les émigrés en factions ennemies. On cherchait une cause à un attachement si rare à cette époque, et on l’attribuait tout bas à l’amour que doña Juana, sœur de don Henri, avait inspiré à Pero Carrillo. J’ai raconté comment

  1. Carbonell, p. 191.
  2. On alla jusqu’à l’accuser d’avoir chargé l’amiral Françes Perellòs d’insulter le roi de Castille dans le port de San-Lucar, et d’avoir ainsi provoqué cette guerre contre laquelle il n’avait cessé de protester. Zurita, t. II, p. 335, verso.
  3. Zurita, lib. IX, cap. LII et LVII.
  4. Ibid., t. II, p. 338, 340.