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tant de répugnance à s’en séparer, qu’il était assez évident que leur adhésion avait été surprise ou contrainte[1]

. En attendant, don Henri, tranquille spectateur des progrès de don Pèdre, ne s’occupait que de faire subsister sa compagnie et de lui procurer des quartiers commodes. Il savait que le moment était proche où il faudrait se soumettre à toutes ses exigences.


IV

Le roi de Navarre, d’un autre côté, ne montrait pas plus d’empressement à servir son nouvel allié, qui, dans l’épuisement de ses finances ; ne pouvait lui fournir les subsides promis. Seulement, en sa qualité d’arbitre élu pour l’exécution du traité de Murviedro, il prononça contre don Pèdre et s’autorisa de sa décision, non pour lui faire la guerre, mais pour observer la neutralité. C’était déjà beaucoup, mais Pierre IV voulait obtenir davantage. Il fit demander à Charles une seconde entrevue, et il fut convenu que don Henri s’y trouverait, car il avait assez de soldats maintenant pour qu’on traitât avec lui de puissance à puissance. Rien ne peint mieux les mœurs atroces du XIVe siècle que les contrats sans cesse renouvelés, les sermons prodigués sans pudeur, et surtout la défiance que se témoignaient en toute occasion ces princes, qui venaient de se jurer, la main sur les Évangiles, une amitié éternelle. Le château de Sos, sur la frontière de Navarre, fut choisi pour la conférence. Avant de s’y rendre, don Henri voulut que le commandement de la place fût remis à un seigneur aragonais qu’il désigna ; il fixa le nombre d’hommes qui composeraient la garnison et celui que chaque roi amènerait à sa suite. Lorsqu’il entra lui-même à Sos, il laissa devant les fossés huit cents hommes d’armes de sa compagnie. Là, on débattit de nouveau les conditions d’une alliance entre les deux rois, puis celles d’un traité particulier de ceux-ci avec le comte de Trastamare. A défaut d’argent, Pierre IV promit de livrer au Navarrais plusieurs villes de son royaume comme nantissement des subsides dont la pénurie de son trésor l’obligeait à demander l’ajournement. Puis les trois confédérés procédèrent au partage de la Castille, en modifiant le traité de Benifar et en faisant à Charles des avantages considérables. Il devait avoir la Castille vieille et la Biscaïe, et quelques villes de la Castille neuve, entre autres Soria et Agreda, naguère cédées au roi d’Aragon. Quant à ce dernier, sa part se composait des royaumes de Murcie et de Tolède. Don Henri donna en otages sa fille, doña Léonor, son fils naturel, nommé don Alonso Enriquez, et les enfans de plusieurs émigrés. Le roi de Navarre livra l’infant don Martin, son fils,

  1. Feliù, An. de Cataluña, 2,275.