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et que la postérité a confirmé. Un petit prince n’existait alors qu’à force de ruse et de duplicité. Il méritait ainsi le renom de politique. Il s’agissait pour le roi d’Aragon d’acheter son alliance, ou tout au moins sa neutralité. Ici commence une suite d’intrigues obscures, dans lesquelles Pierre IV, Charles et le comte de Trastamare luttent de fourberie, de défiance et de mauvaise foi. Une entrevue secrète fut proposée par Pierre IV au roi de Navarre, à l’instigation de don Henri, suivant Zurita, qui paraît avoir consulté sur ces négociations des documens perdus aujourd’hui[1]. Si don Henri donna le conseil, l’Aragonais ne se préoccupa d’abord que de ses propres intérêts. Les deux rois se virent le 25 août avec beaucoup de mystère dans le château de Uncastillo sur la limite de leurs états. Charles, combattu entre la cupidité et la crainte que lui inspirait la puissance de don Pèdre, après de longues hésitations, finit par promettre une alliance secrète, à condition qu’elle lui fût chèrement payée. Je rapporte d’après le consciencieux annaliste d’Aragon, qui malheureusement a négligé de faire connaître ses autorités, les principales conditions du pacte conclu entre les deux fourbes couronnés. D’abord une somme d’argent considérable, qui devait être comptée au Navarrais dans un délai de quatre mois ; plusieurs places importantes, remises entre ses mains, répondaient du paiement ; car quelle confiance pouvait-on avoir dans une promesse ; quand on n’avait pas de gages pour la garantir ? Le roi d’Aragon s’engageait encore à lui donner des subsides pour solder ses troupes, même dans le cas où elles n’agiraient pas immédiatement contre la Castille. Enfin on stipula que si Charles, par quelque moyen que ce fût, parvenait à faire périr don Pèdre ou à le livrer au roi d’Aragon, ce dernier paierait la tête de son ennemi par un don de 200,000 florins, et la cession de la ville et du territoire de Jaca[2].

On a déjà vu que dans toutes les transactions diplomatiques on cherchait à resserrer les ligues politiques par des mariages. Pierre IV demanda la main d’une sœur du roi de Navarre pour son fils, le duc de Gerone, naguère fiancé à la fille de don Pèdre par le traité de Murviedro. En cas d’agression des Français, l’Aragon devait prendre parti pour la Navarre et défendre ses possessions en-deçà et au-delà des monts. En résumé, Charles obtenait du roi d’Aragon les avantages qu’il avait trouvés dans son alliance avec la Castille, et de plus des subsides, qui, à ses yeux, avaient beaucoup plus de prix qu’une protection incertaine. À ces conditions, il s’engageait à se déclarer contre don Pèdre, toutefois en conservant la faculté de choisir le moment qu’il jugerait le plus favorable,

  1. Zurita, t. II, p. 324. — Je n’ai pas trouvé de traces de ces négociations dans les archives de Barcelone, mais Zurita est si exact ordinairement que je ne doute pas qu’il n’ait eu à sa disposition des renseignemens positifs.
  2. Zurita, t. II, p. 324.