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mourir les armes à la main que se rendre ! » s’écrie à son tour Perez Sarmiento. L’alguazil s’enfuit. Aussitôt ils se barricadent avec des meubles et se disposent à vendre chèrement leur vie. A peine le premier cri d’alarme avait-il retenti dans le logis du roi, que le comte de Trastamare paraissait à la tête d’une troupe nombreuse et armée de toutes pièces, précaution qui indiquait assez que la cause du tumulte lui était connue d’avance. Tandis que les uns s’efforcent de briser à coups de hache les portes de la salle basse, d’autres percent le plafond pour tirer par les ouvertures sur les cinq victimes dévouées. Dans cette extrémité, l’infant, n’écoutant que son courage, ouvre lui-même la porte, et, l’épée au poing, se précipite sur les assaillans, suivi des deux bannis de Castille. Soit lâcheté, soit trahison, les deux chevaliers aragonais sautèrent par la fenêtre et parvinrent à se sauver. En apercevant don Henri, l’infant s’élance sur lui comme un furieux, et, du premier coup, abat mort à ses pieds un écuyer du Comte qui s’était jeté devant son maître. Sans autres armes que leurs épées, ces trois hommes, exaltés par le désespoir, firent un instant reculer la foule de leurs adversaires ; mais que pouvait le courage contre une troupe nombreuse et couverte de fer ? L’infant, blessé d’abord par Pero Carrillo, majordome du comte de Trastamare, tomba le premier percé de coups. Sarmiento et son compagnon se firent tuer sur son corps[1].

A la nouvelle de ce meurtre, portée en un instant au camp d’Almanzora, don Tello, et don Sanche, persuadés que le roi d’Aragon leur réservait le même sort, crient aux armes, déploient la bannière de l’infant et se mettent en bataille, avec toute sa compagnie, à l’entrée du bourg. Ils virent bientôt arriver don Henri avec ses Castillans, renforcés de plusieurs bandes aragonaises. De part et d’autre on poussa le cri de guerre ; on baissait les lances et l’on allait se charger, quand un héraut, revêtu de son tabard aux armes d’Aragon, s’avança entre les deux troupes et cria, au nom du roi, que les bannis n’avaient rien à craindre, s’ils demeuraient dans le devoir, et que le roi ne les croyait pas complices de la trahison dont leur chef venait de porter la peine. En même temps le Comte, ôtant son armet, appela les principaux cavaliers de la compagnie de l’infant, et les conjura de ne pas s’exposer à une perte certaine en refusant d’obéir aux ordres du roi d’Aragon. Désormais que don Fernand était mort, ses soldats n’avaient plus qu’à opter entre deux partis : quitter l’Espagne, ou servir fidèlement le prince qui les avait accueillis dans ses états. Il se hâta d’ajouter qu’ils pouvaient librement déclarer leur choix ; mais, promesses, flatteries, il n’oublia rien pour séduire ces hommes déjà découragés. Habitués à la vie d’aventure, la plupart n’avaient d’autre moyen d’existence que leur lance et leur cheval.

  1. Ayala, p. 374. – Zurita, t. II, p. 322. – Carbonell, p. 190 et suiv.