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bien la détresse de son adversaire, à moins qu’elles ne cachassent quelque arrière-pensée et qu’elles n’eussent d’autre but que de gagner du temps, et d’arrêter ainsi les progrès des Castillans.

Implacable dans ses ressentimens, don Pèdre voulait avant tout se venger de ses anciens ennemis. Il demanda que le roi d’Aragon fît arrêter ou tuer le comte de Trastamare et l’infant don Fernand[1]. Pour avoir leurs têtes, il eût volontiers consenti à rendre une partie du territoire qu’il venait de conquérir. Entre deux hommes tels que don Pèdre et Pierre IV, une pareille clause ne devait pas empêcher la ratification d’un traité. Il est vraisemblable qu’elle fut discutée ; et, s’il faut ajouter créance au chroniqueur Ayala, Bernal de Cabrera se serait engagé, au nom de son maître, à donner la satisfaction demandée[2]. Ainsi, un double meurtre allait sceller la réconciliation des deux souverains, et précéder l’union de leurs enfans. C’était, à vrai dire, la seule condition qui pût obliger don Pèdre à se résigner à un mariage pour lequel il semble avoir toujours montré une vive répugnance. En ce moment surtout, amoureux d’une dame nommée doña Isabel, dont il avait eu un fils, il était beaucoup plus disposé à lui donner une couronne qu’à partager la sienne avec la fille de son ancien ennemi[3]. Déjà il faisait traiter doña Isabel comme une reine. Il voulait que partout où elle passait on lui rendît des honneurs extraordinaires ; il exigeait même que les évêques lui fissent cortége[4]. Cependant les plénipotentiaires aragonais et castillans étaient d’accord sur les clauses patentes du traité. Ils s’étaient entre-donné la main, puis l’avaient baisée, enfin s’étaient embrassés selon l’antique usage d’Espagne[5]. Le roi de Navarre s’était rendu garant des conventions souscrites de part et d’autre, et avait fait occuper par ses troupes plusieurs villes que les deux parties contractantes remettaient entre ses mains comme gages de leur bonne foi[6]. La paix semblait assurée, il ne manquait plus que l’approbation définitive des deux souverains. En ce moment l’un et l’autre s’étaient éloignés de Murviedro ; le roi d’Aragon était à Castellon de la Plana, don Pèdre au château de Mallon dans le royaume de Valence.


II.

Malgré la réconciliation opérée par les soins de Pierre IV entre le comte de Trastamare et l’infant don Fernand, peu après la bataille de

  1. Ayala, p, 372. — Zurita, t. II, p. 321.
  2. Ayala, p. 373. — Zurita admet l’existence de ce traité secret.
  3. Ayala, p. 373.
  4. Cancales, Hist. de Murcia, p. 137.
  5. Zurita, p. 321.
  6. Id., ibid.