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un guide infidèle révéla leur approche. Cernés dans un petit village, ils furent contraints de se rendre. Don Pèdre les ayant fait conduire devant la brèche, déjà large de plus de quarante brasses, leur offrit ironiquement de les laisser entrer dans la ville pour y courir la fortune de leurs concitoyens. « Vous voyez, leur dit-il, que dès demain, si je veux, un assaut me rend maître de la place. Mais je serais fâché qu’une ville si importante fût saccagée et détruite. Je consens à recevoir les habitans à merci. Exhortez-les vous-mêmes à ne pas s’opiniâtrer dans une résistance inutile. »

Malgré leur situation désespérée, et bien qu’avertis par le comte d’Osuna et ses compagnons qu’ils n’avaient aucun secours à espérer, les braves bourgeois de Calatayud refusèrent de se rendre avant d’en avoir obtenu la permission de leur seigneur. Don Pèdre, sachant bien que, s’il donnait l’assaut, ses soldats ne lui laisseraient que des cendres, permit aux assiégés d’envoyer à Perpignan une députation pour faire connaître au roi d’Aragon l’état de la place et de lui demander de relever les habitans de leur serment de fidélité s’il ne pouvait les secourir. La capitulation de Calatayud mérite d’être rapportée. On convint que si, dans un délai de quarante jours, une armée aragonaise ne se présentait pas pour faire lever le siége, la ville serait remise au roi de Castille ; que les habitans auraient la vie sauve, qu’ils conserveraient leurs propriétés et ne seraient pas contraints d’émigrer. Cette clause, qui paraît étrange aujourd’hui, montre quelles étaient alors les lois de la guerre. On a vu que, peu d’années auparavant, la population aragonaise de Tarazona avait été expulsée en masse et remplacée par une colonie castillanne. Le vainqueur rendait hommage à la valeur des bourgeois de Calatayud. Le roi d’Aragon loua leur fidélité et reconnut qu’ils avaient fait tout ce qui est possible à de braves gens pour lui conserver la place. Hors d’état de les secourir, il les engagea lui-même à pourvoir de leur mieux au salut de leurs personnes et de leurs biens, et, les exonérant de l’hommage prêté à sa couronne, il leur permit de devenir sujets du roi de Castille et de lui prêter serment comme à leur seigneur[1].

Au moyen-âge, les campagnes étaient toujours de courte durée. Il n’y avait pas d’armées permanentes. Les vassaux des seigneurs appelés aux armes par le roi, les contingens fournis par les villes, ne pouvaient long-temps demeurer éloignés de leurs travaux ordinaires. Après une bataille ou un siége, l’usage était de les renvoyer pour quelque temps dans leurs foyers. Les seules troupes qui méritassent alors le nom de régulières, consistaient dans la milice des ordres militaires et quelques

  1. Ayala, p. 356-362. — Zurita, t. II, p. 3. -Villani, autorité très suspecte, prétend, lib. X, cap. XCVIII, que don Pèdre fit tuer six mille habitans de Calatayud.