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authentique du roi conservé jusqu’à nous en original, testament écrit peu après la session des cortès, répète dans les termes les plus précis la déclaration faite devant cette assemblée. On a peine à taxer de mensonge un acte semblable, écrit dans un moment solennel et pour ainsi dire en présence de la mort. Il faut ajouter que le caractère de Juan de Hinestrosa, tel que l’histoire nous le montre, donne quelque vraisemblance au mariage secret de sa nièce avec le roi. Je répugne à croire que le chevalier qui seul n’hésita pas à suivre son maître lorsqu’il se livrait aux rebelles de Toro ait prostitué sa nièce par un calcul d’intérêt ou d’ambition. Un apologiste de don Pèdre, admettant son mariage avec Marie de Padilla, attribue à ses scrupules de conscience l’éloignement extraordinaire qu’il montra toujours pour la princesse française : mais supposer de pareils scrupules à don Pèdre, n’est-ce pas démentir le témoignage de toute sa vie[1] ?


II.

En congédiant les cortès, le roi leur annonça que probablement il aurait bientôt besoin d’en appeler au dévouement de la noblesse et des communes pour repousser un nouvel ennemi. En effet, un danger sérieux menaçait non-seulement la Castille, mais encore toute la Péninsule. La trêve conclue entre la France et l’Angleterre avait laissé sans occupation un grand nombre d’aventuriers qui, ne connaissant d’autre métier que la guerre, la faisaient pour leur propre compte lorsqu’ils ne trouvaient pas de prince qui leur donnât un drapeau et une solde. Réunis en bandes très nombreuses, ou plutôt en une grande armée qu’on nommait la compagnie blanche[2], ils pillaient les campagnes et

  1. Apologia del rey don Pedro, por et licenciado don Jose Ledo ciel Pozo, lib. IV, cap. I.
  2. J’ai cherché inutilement l’explication de ce nom de compagnie blanche qu’on trouve dans Ayala, p. 351, et dans d’autres auteurs. On peut choisir parmi les hypothèses suivantes. — Peut-être les aventuriers avaient-ils une espèce d’uniforme, des soubrevestes blanches, par exemple, pour les distinguer des autres hommes d’armes, qui portaient le blason de leurs rois ou de leurs seigneurs. — Je proposerai une seconde explication qui me semble préférable. On appelait alors armes blanches les armes en plaques de fer forgé par opposition aux hauberts de mailles qui commençaient à disparaître. Armé à blanc ou bardé de plaques de fer étaient mots synonymes. Je pense que les aventuriers, en général mieux équipés que les milices féodales, ont pu tirer le nom de compagnie blanche de leurs armures, nouvelles encore, surtout en Espagne. Cuvelier, auteur de la chronique en vers de Du Guesclin, fournit une troisième explication : c’est que les aventuriers portaient des croix blanches.
    Il ni avoit en l’ost chevalier ne garçon
    Qui ne portast la croix blanche comme coton,
    Et la blanche compaigne pourtant l’appeloit-on.
    v. 7982.
    Mais, suivant Cuvelier, les aventuriers ne prirent la croix qu’en 1365, lorsqu’ils furent réunis sous le commandement de Du Guesclin, et l’on voit par la chronique d’Ayala que le nom de compagnie blanche existait auparavant.