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revint à Séville ne respirant que la guerre. Il ne pardonnait point au Maure son alliance, ou plutôt ses négociations pour une alliance avec l’Aragonais. D’ailleurs, d’après le droit du moyen-âge, en sa qualité de suzerain, il devait assistance et protection à Mohamed, qui s’était reconnu son vassal : les prétextes ne lui manquaient donc pas pour attaquer l’usurpateur. Mohamed, retiré à Ronda, petite principauté indépendante de Grenade, et relevant du royaume africain des Beni-Merin[1], avait quelques troupes en campagne. Don Pèdre lui prêta de l’argent et lui promit une armée. Les chrétiens, et les Maures fidèles au roi légitime, devaient agir de concert contre Abou-Saïd. Il fut convenu que les places qui se rendraient au roi de Castille seraient réunies à sa couronne, et que celles qui ouvriraient leurs portes à leur ancien maître appartiendraient à Mohamed. Ainsi, en secourant son allié, don Pèdre allait en réalité lui enlever une partie de ses états[2].

Au début de la campagne, les armes castillannes obtinrent quelques succès. Le roi, à la tête des milices andalouses et d’un assez grand nombre de volontaires, s’empara de plusieurs châteaux et défit les Grenadins en deux rencontres. Ces avantages servirent mal d’ailleurs la cause de Mohamed. La protection que lui accordaient les chrétiens ne le rendit que plus odieux aux Musulmans. Contre ses espérances, aucune défection n’eut lieu en sa faveur, et le seul fruit qu’il tirait de son alliance, c’était de voir ses sujets emmenés en esclavage, ses villes saccagées, ses mosquées converties en églises. Don Pèdre semblait ne combattre que pour ses propres intérêts. Je n’entrerai pas dans le détail fatigant de ces courtes et incessantes incursions qu’on appelait alors une guerre, bien différentes de ces grandes opérations combinées par la science stratégique qui décident du sort des empires. L’art de la guerre était alors perdu comme tant d’autres, et il fallut bien du temps pour le retrouver. Je ne dois point oublier cependant de rapporter un fait qui prouvera la persévérance inflexible de don Pèdre à substituer systématiquement, en toute occasion, la loi arbitraire de son despotisme à la licence féodale. Jusqu’alors, les esclaves faits à la guerre devenaient la propriété du seigneur qui les avait gagnés par ses armes ou par celles de ses vassaux. A l’avenir, le roi voulut que tous les captifs lui fussent remis. Peut-être son intention était-elle de les rendre à Mohamed. Don Pèdre promit, il est vrai, de les payer suivant un tarif qu’il fixa ; mais, par la faute de ses trésoriers ou par la sienne, la rançon des prisonniers ne fut jamais soldée exactement. De là des

  1. Marmol. Descrip. de la Africa, lib. II, p. 214.
  2. Ayala, p. 332. — Suivant les historiens arabes, Mohamed ne voulut prendre lui-même aucune part à cette guerre, et demeura à Ronda dans l’inaction, attendant que le repentir de ses sujets lui rendît sa couronne. Conde. Hist. de les Arabes, Ire partie, cap. XXV.