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de fantômes brillans, de théories aériennes. « Les rêves agiles, ces ministres de la pensée, portés sur les ailes de la passion[1], » viennent soulever la tête glacée du poète, et baigner son corps dans la rosée que versent les étoiles. La mort se dissipe bientôt, brouillard éphémère. Adonaïs se réveille : il s’assimile à tout ce que la nature a de plus charmant ; il monte vers le séjour des immortels, « où Chatterton et Lucain, ces glorieux suicides, se lèvent, à son approche, de leurs trônes d’or. » Lisez ensuite l’Epipsychidion, invocation d’un poète amoureux à une noble et belle femme, prisonnière dans un cloître. C’est encore le même besoin de s’élancer, hors du monde créé, dans un autre univers plus parfait, tel que l’ame aimante est impérieusement appelée à le rêver. C’est la même espérance d’un paradis solitaire, si souvent cherché par les jeunes cœurs, où les orages et les froids de la vie n’ont jamais accès, où les astres, dans l’azur inaltérable, sourient sans cesse à deux amans sans cesse enivrés l’un de l’autre, où les fleurs de la pensée germent à côté des fleurs terrestres ; où le rossignol, ce chantre invisible des nuits heureuses, marie au bruit lointain des flots l’essor palpitant de ses joyeuses sérénades. Shelley convie la belle recluse à une existence de loisir et d’amour… - « La barque est prête, la brise est favorable. Qu’attends-tu donc, infortunée victime ? Écoute le chant des mariniers ; vois les alcyons, d’heureux présage, voler sur la mer apaisée… Sœur de mon ame, allons cacher notre bonheur sous les bois embaumés de notre île fleurie. Elle nous attend là-bas, à l’horizon oriental, rougissant sous les feux du matin, comme la fiancée sous la main hardie de l’époux qui va soulever le dernier voile… »

Tout ceci n’était, soyons-en bien persuadés, qu’une fiction poétique, et Shelley marié ne songeait nullement à conduire dans une des Sporades la recluse du couvent florentin ; mais peut-être aspirait-il à une de ces chastes liaisons qui ont, elles aussi, leurs ineffables délices, leurs extases, leurs langueurs charmantes, leurs ravissemens, et que protége si bien, contre l’invasion des soucis terrestres, la paix austère du cloître. Peut-être rêvait-il l’amour mystique du paradis. Lui-même l’a dit ainsi, ou plutôt l’a laissé entendre dans le bref commentaire qui précède l’Epipsychidion, et, comparant ce poème à la Vita Nuova, il en donne l’idée la plus juste.

On sait maintenant quels sont les ancêtres de ce poétique métaphysicien. Cette famille d’esprits est contemporaine du monde, et durera autant que lui. Lorsque Lucain met dans la bouche de Caton ce discours hardi, où sont contestés les oracles d’Ammon, quand il le fait s’écrier en vers éloquens : — « La divinité n’a pas d’autre demeure que la terre, l’onde, le ciel et le cœur du juste… Jupiter est tout ce que

  1. … the quick Dreams
    The passion-winged Minesters of thought.