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(1816-17), fut donc le véritable début du jeune écrivain. Dans l’avant-propos, il prit soin de protester contre toute assimilation de sa poésie avec celle « de ses plus illustres contemporains. » Par là sans doute il désignait Byron, avec lequel la tendance de ses idées risquait de le confondre. Il ajoutait, faisant allusion à sa vie jusqu’alors si agitée :


« Il existe une éducation poétique sans laquelle le génie et la sensibilité peuvent malaisément développer toutes leurs ressources… Cette éducation, les accidens de ma vie me l’ont procurée. Dès mon enfance j’ai vécu au sein des montagnes, parmi les lacs, en face de la mer, dans les forêts solitaires. Le danger, qui se plait au bord des abîmes, fut mon compagnon de jeux. J’ai foulé les glaçons des Alpes, et vécu sous le regard du Mont-Blanc. J’ai parcouru, voyageur errant, les pays lointains. J’ai descendu le cours des grands fleuves. De la barque où je passais les jours et les nuits, j’ai vu se lever et se coucher le soleil et les étoiles s’allumer au ciel. Dans les cités populeuses, j’ai suivi les mouvemens passionnés de la foule inconstante. Je suis passé sur le sol que la tyrannie et la guerre venaient de ravager, parmi des villes et des hameaux incendiés, où la misère affamée étalait sa nudité sur les ruines des murs noircis. J’ai conversé avec le génie vivant. La poésie grecque, celle des Romains et celle de mon pays ont eu pour moi le même attrait, les mêmes révélations que la nature elle-même. Telles sont les sources où j’ai puisé. »


Ce séjour de Shelley en Angleterre, nous l’avons dit, fut le dernier. Après la terrible sentence qui le privait de ses enfans, nous le voyons quitter pour jamais son pays en 1817. Nous le retrouvons à Rome, où il écrit sa tragédie des Cenci, Julien et Maddalo et Prométhée déchaîné[1] ; puis à Naples, d’où est daté le poème d’Hélène et Rosalinde ; à Pise, où fut composé un drame lyrique inspiré par la révolution grecque ; à Livourne, à Florence, mais avant tout à Genève, où il passa trois mois avec lord Byron et le docteur Polidori, l’auteur du Vampire.

Il y avait entre Byron et Shelley communauté d’idées, communauté de malheurs. Leurs ennemis étaient les mêmes. Ils avaient tous deux rompu des liens formés sans réflexion, tous deux attaqué les lois et la religion de leur pays, tous deux subi les dédains par lesquels la société se venge de qui la maudit. Le même exil volontaire les rassemblait sur les mêmes bords. Ils s’y retrouvaient avec les mêmes instincts pratiques, les mêmes admirations, les mêmes conditions de vie. Nous avons dit qu’une jeune parente accompagnait les Shelley. Elle était belle et spirituelle : ses cheveux et ses yeux noirs la faisaient prendre partout pour une Italienne. Elle avait un moment songé à monter sur la scène, et de là nous pouvons conclure qu’elle avait, elle aussi, profité des leçons de Mary Wolstonecraft, saint-simonienne avant Saint-Simon. Byron, qu’elle connaissait déjà, — car elle s’était adressée à lui pour entrer

  1. Prometheus Unbound. – Who will bind it ? demandait Campbell, peu favorable à Shelley.