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Ce qu’il avait formellement annoncé à son beau-père s’était réalisé de point en point. Séparé de sa femme, il avait cherché « d’autres sympathies, » et un an après, en 1814, profitant de ce que la paix rouvrait aux Anglais les routes du continent, il était parti pour la Suisse avec celle qui, plus tard, devint sa seconde femme. Ne nous étonnons pas trop qu’il ait trouvé, dans de telles circonstances, une compagne décidée à le suivre. Nous verrons plus tard que son génie et ses malheurs lui méritèrent, à la même époque, des sacrifices encore plus romanesques. Fille de Godwin et de Mary Wolstonecraft, celle-là même qui avait proclamé les droits de la femme alors que Thomas Payne revendiquait les droits de l’homme, Mary Godwin, — son roman de Frankenstein en fait foi, — était, par la hardiesse de son caractère et de ses opinions, au niveau de sa famille et de Shelley. Une autre jeune fille, belle-sœur de Mary Godwin, accompagnait le couple aventureux. Ce premier voyage fut une expédition de bohémiens, romanesque, décousue, improbable, suspecte, qui rappelle les pèlerinages de Rousseau et de Thérèse Passeur. Ici, de prétendus espions effraient les jeunes vagabonds ; ailleurs, on leur escamote leurs malles. L’argent manque. Il faut continuer la route à pied. Ils partent ainsi de Paris, après avoir fait emplette d’un âne pour porter le reste de leurs bagages. A la Chapelle Saint-Denis, l’âne du Marché-aux-Herbes refuse d’aller plus loin ; une mule se trouve là tout à point pour le remplacer. Chemin faisant, un enfant survient à ces deux philosophes mariés, toujours comme Rousseau et Thérèse, à la face du ciel, par une belle matinée de printemps. Ils retournent en Angleterre, puis repartent encore, et cette fois visitent Genève, Côme, Venise. Nous les retrouvons à Bath, où leur parvient, en 1816, la nouvelle du triste suicide qui affranchissait Shelley. Ni lui cependant, ni sa maîtresse, ne songeaient à cimenter leur union volontaire ; mais il était dans la destinée de cet ennemi du mariage d’être deux fois marié. Son père sut le décider à ce second hymen. Un autre partisan du libre amour hasarda de reprocher cette inconséquence à son co-religionnaire. C’était un certain sir Thomas Lawrence, chevalier de Malte et auteur d’une méchante utopie en quatre volumes, l’Empire des Naïrs. Shelley lui répondit en rejetant sa faute sur l’état de la société, qui, par ses injustes persécutions, fait du séducteur une sorte d’assassin moral. Du reste, il donnait les mains, et de tout cœur, aux anathèmes de sir T. Lawrence contre le mariage, source évidente de mille maux.

La Reine Mab n’avait pas été publiée. La Révolte d’Islam, composée à Great-Marlow, pendant le dernier séjour de Shelley en Angleterre